Dans le Souffle du Corps

APRT : Marie-Antoinette Cristiano, vous étiez l’invitée principale de l’émission de télévision de l’automne dernier ayant comme thème la spiritualité. Beaucoup de choses ont été dites, mais bien entendu tous les aspects de la spiritualité n’ont pas pu être abordés. Il y en a notamment un sur lequel vous aimeriez revenir. Il est dans l’actualité, à la fois de la société occidentale contemporaine et des Églises puisque nous venons de fêter la Nativité : le corps.

Bien souvent – trop souvent – lorsque l’on parle de spiritualité, on entend l’esprit… et le corps devient le grand absent ?

 

Marie-Antoinette Cristiano : D’un côté, il est vrai que dans les traditions chrétiennes – moins chez les orthodoxes – on a pu constater un REJET subtil du corps qui a longtemps été méprisé. C’est un obscur héritage platonicien qui a influencé le christianisme des premiers siècles. Il en reste des marqueurs, comme la conception négative du corps en tant que prison de l’âme et non tel que Paul l’appelle : « le temple de l’Esprit ». Nous sommes là dans le monde de la déchirure, une division avec son être et l’Être essentiel. Je crois que le corps est la fine pointe épiphanique au cœur du monde.

 

Je me questionne : quelle place lui donnons-nous dans l’Église, mais aussi dans notre vie spirituelle ?

D’un autre côté, la société occidentale contemporaine semble tellement valoriser le corps Image, langage sans Paroles, apparence apparat avec ses exigences perfectionnistes et ses normes. Cette monstration le réduit à la matière oubliant l’esprit. Elle n’est pas une véritable mise en valeur, mais elle empale le corps aux cimes d’un produit de consommation. Acheter et consommer des verbes qui ont perdu leur chair, des verbes sans Paroles sur le chemin de la normose.

Le corps idole n’est plus ce qu’il EST en vérité, je dirais même en SUBSTENCIALITE. L’idole ne sera pas toujours au sommet de l’affiche de l’idéal. Dès lors, celui-ci devient objet d’exclusion et de mal-être voire de maladie. Il ne sera plus l’expression d’un SUJET, et entreront en scène jugements, culpabilité, rejet, honte, pensées sombres, mal à dire et mal à l’Être… Cette lave douloureuse est aussi absorbée par nos cellules. À corps perdu, on plongera dans un petit goût d’enfer.

Contrairement à ce qui a pu être dit, l’enfer n’est pas principalement les autres, mais bien le repli du moi sur le Moi.

Toujours l’enfer… me… ment : il entrave et ne laisse pas passer la vie. Vision triste de soi et peur de vivre, peur de l’autre, peur d’aimer et d’être aimé, peur d’avoir un corps et un corps vivant.

Mais l’enfer est aussi ce qui nous donne soif, soif d’une eau plus fraiche que celles de pensées accablantes et de passions tristes (comme disait Spinoza). La soif est le DÉSIR de s’ouvrir, d’honorer et de célébrer la vie dans toutes ses dimensions ; VENIR enfin AU MONDE !!!! SE RENCONTRER, rencontrer l’autre pour que l’INFINI SE SENTE EN NOUS COMME CHEZ LUI.

 

APRT : Comment sortir de cet enfermement ?

M.A. C. : D’abord, en prenant conscience que le corps est le lieu d’incarnation du vivant et qu’il EST vivant.

L’évangéliste Jean proclame dans son Prologue que « le Verbe s’est fait chair », quel sens cela a-t-il pour nous ? Il existe une unité dynamique entre le biologique, le psychique et le spirituel. Cette unité dynamique, c’est l’être de chacun. Il n’y a pas de cloisonnement entre le corps, l’esprit et l’âme. Cet être est sans cesse en création et en évolution à travers les expériences sensibles que nous faisons par les sens, les émotions, l’intuition, l’intelligence, le désir… Notre histoire personnelle, transgénérationnelle, collective, avec ses joies et ses blessures, ses bonheurs et ses douleurs, participe au vivant et porte la mémoire de ce que la vie laisse de traces en nous. Nous sommes faits de ces traces et de ces mémoires que nous pouvons interroger à tout moment : entendre le corps et lui donner le soin et l’attention nécessaire, c’est entendre aussi l’âme et l’esprit ; écouter son âme et lui donner du soin, c’est aussi libérer et apaiser le corps. C’est ce que je constate dans ma pratique en psychothérapie où il m’importe de donner la place et la parole au corps, à l’âme et à l’esprit. Par la question la quête, la remise en question je peux me dire…

« Qu’est-ce que j’entends en moi ? Qu’est-ce que j’écoute de moi qui me fait advenir à moi ? » Advenir, c’est s’ouvrir ; s’ouvrir c’est sortir du moi sur moi, aller vers un autre à l’extérieur et à l’intérieur. En moi, il y a un autre que moi, un silence qui me parle et qui ainsi m’ouvre. En moi, il y a plus grand que moi, il y a plus vrai que moi, il y a plus simple que moi, il y a surtout plus Aimant que moi. Il y a cet autre que je peux nommer. Et voilà que cet autre m’appelle, me nomme et « je suis », j’étais et j’adviens.

 

Pour nous, chrétiens, la figure de Jésus vient réveiller et confirmer ce processus. Le Verbe s’est fait chair, et Il est chemin, vérité et vie. Il y a là un réveillement et un relèvement. La spiritualité vivante est tout entière dans cet éclairement de la miséricorde, au sens étymologique de ce qui vient du cœur, c’est-à-dire de l’amour. Et voici que le moi, même blessé, est au bénéfice de la beauté, de la bonté et d’un « sur Croix » de bonté… La spiritualité nous invite à la bienveillance puisqu’elle nous met sur la voie du veilleur et de l’éveilleur qui est en chaque être humain. La spiritualité consiste à regarder la vie, ma vie, dans ce miroir où amour et vérité jouent leurs meilleurs « ac corps ».

 

APRT : Vous parlez de relèvement, dans le langage de la Bible, c’est la résurrection ?

M.A. C. : Résurrection, Pâque, Passage, Chemin, je parle de relèvement dans un processus, une marche où chacun est appelé à devenir pèlerin et à regarder le touriste spirituel qu’il est (parfois ou souvent) avec la plus grande des candeurs éclairées. Tous ces termes parlent de la Vie… Ils ne sont pas des concepts abstraits. Ils sont ancrés dans la réalité, ils ont trait au corps comme lieu de la Présence, c’est-à-dire le lieu où notre présent devient Présence, non pas en surface, en apparence, mais en chair et en vie quotidienne et dans l’éternité de l’instant. C’est ainsi que je suis ce lieu qui livre PASSAGE à la Vie dans tous ses éclats, et plus l’ obstacle. La respiration, à travers le souffle invisible, mais réel, nous aide à prendre conscience de cette unité entre le corps et l’esprit. La posture s’ajuste, se réajuste et livre le passage à plus de vie et de Vivant.

 

Si l’homme est spirituel, il n’existe qu’incarné, glorieusement incarné. Notre naissance, notre arrivée au monde dans la chair, est propulsée par la jouissance et la réjouissance, un écho à la joie primordiale, au commencement des commencements. Nous sommes très très loin de ce qu’une certaine théologie a fait du corps et de la sexualité à travers le péché originel. Il y a dans notre corps le goût de la joie originelle qui nous porte vers le vivant, vers l’aimant. Du « je » au « tu » qui s’aiment, il y a ces corps en relation, ce visage à visage, ce souffle au souffle, il y a semence de la Vie.

C’est aussi cela la résurrection : un retournement à l’origine pour aller de l’avant, une métanoïa, une conversion, non pas pour sortir de, mais pour entrer dans l’INSUFFLATION de la vie face à tous nos essoufflements.

 

APRT : Il n’y a donc pas d’autre voie de spiritualité que celle passant par le corps ?

M.A. C. : Dans le champ de la conscience et de l’expérience où je me trouve aujourd’hui, je dirais oui.

Oui, car dans l’être l’humain, j’aime ce mot (être) humain, il y a de l’Être, il y a du divin, ce qui nous dépasse et nous englobe. Il serait heureux de remettre de la lumière sur le corps, un ensoleillement. Ouvrir Notre vie, dans toutes ses dimensions, y compris donc la spiritualité jusque dans la chair et de la chair jusque dans l’esprit.

Ta vie se vit dans ton corps, de l’intime à l’ULtime.

 

La spiritualité est une manière nouvelle de rentrer en relation avec La Vie, avec ce qui est, instant après instant, à la lumière de l’immuable, de l’Ultime intime. Nous sommes dans une soif d’essentiel, d’intériorité, une nostalgie de la mystique. Le vécu intérieur me parait plus assoiffé qu’une observance extérieure aveugle… Il faudra certainement que les nappes d’eau extérieures s’épuisent pour que nos larmes intérieures se transforment en fleuve de Joie. Et d’Amour.

 

NOUS SOMMES TOUS EN CHEMIN.

 

APRT : Une question plus personnelle, si vous le permettez : comment incarnez-vous cette réalité dans votre vie ?

M.A. C. : J’ai le bonheur dans mon travail de psychothérapeute, d’accompagner des personnes en offrant l’espace et la parole au corps, à l’âme et à l’esprit… Cela passe par l’écoute, l’ouverture du cœur et l’attention aux soins nécessaire à donner à chaque personne qui est unique. J’ai créé une ASBL où j’ai voulu enraciner des projets porteurs de sens, fruit de mes soifs rencontrées par quelques désaltérences.

 

À l’ASBL « Les Chemins de L’Être », depuis 20 ans, nous proposons une série d’activités qui sont autant de manières concrètes d’accomplir cette œuvre intérieure dans différentes formes d’expressions. Nous proposons, par exemple, en plus des accompagnements en psychothérapie, des stages de travail sur soi, des voyages, des marches méditatives, des retraites, des conférences, des soirées de projection de films, des soirées à thèmes, poésie, musique, des concerts. J’aspire aussi à incarner une simplicité joyeuse et radieuse et tenter de cultiver les chemins de la Beauté, de l’Émerveillement et de la Joie, sans être dupe de la gravité du monde et de mes parts de gravités.

 

Sur les pétales de ma vie quotidienne, je remercie l’amitié et l’amour, les partages avec chacun et les rires savoureux.

Et puis, je remercie et je m’unis à celui qui s’est dévêtu de tous les noms (que je ne nommerai donc pas) pour habiller le fond de nous, DE LUI.

source: APRT, revue trimestrielle Son & Lumière, 2022 n°1. – http://www.aprt.be/

 

Image : pixabay

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