Force est de constater que le monde occidental nous agresse en permanence par ses bruits, ses sollicitations à tel point que le temps est devenu un espace qu’il faut en permanence remplir tellement l’angoisse du vide qui renvoie à la peur du néant, à la peur d’être face à soi-même, doit être éliminée. Les moyens ne manquent pas, refuge dans le travail, loisirs, stimulations de tous ordres (musique, écran etc.). La perte de temps ou l’ennui deviennent des ennemis à abattre car ils renvoient à des images de passivité, de perte de goût de vivre, de désintérêt, de vide voire de mort pour certains.
Mais le retrait en soi-même, renvoie également aux questions existentielles : pourquoi je vis, d’où je viens, quel sens à ma vie ? Or paradoxalement, c’est justement au départ du vide, du silence et du manque que naît le désir et la pensée. C’est ainsi qu’il appartient à la mère qui allaite son bébé de pouvoir le faire attendre ni trop ni trop peu, pour lui permettre de créer petit à petit un espace intérieur où vont se nicher des images intériorisées de la mère nourricière et qui lui permettront de temporiser la frustration liée à l’attente du lait salvateur. Cet espace intérieur précocement installé va grandir tout au long de la vie permettant à l’individu de prendre contact avec lui-même et d’établir la juste bonne distance vis-à-vis de l’autre.
C’est par le langage que cette distance va être modulée dans un contact à l’autre ponctuée par des silences (comme en musique) permettant des mouvements d’intériorisation mais ouvrant la communication à d’autres modalités portées par le langage corporel.
La vie intérieure est donc constituée d’un flot continu de pensées, d’images, de souvenirs, de projets, de ressentis émotionnels et corporels qui habitent un espace propre à chaque individu, qui le différencie de l’autre (et également de l’animal). On parlera aussi de « for intérieur », de cette part de moi qui échappe nécessairement à celle ou celui qui ne nous connaît pas, à ceux qui, justement, n’aperçoivent de nous que la surface. L’intériorité est, par sa profondeur, cette part de moi qui échappe parfois à moi-même. La méditation, la réflexion, la prière, la contemplation, sont des moyens parmi d’autres d’y accéder.
Mais y aurait-il un risque de l’intériorité ? Elle peut être une fuite hors du monde, alors qu’elle doit en être la caisse de résonance. Ne faut-il pas parfois souffrir du monde au point de devoir le changer ? Les techniques méditatives peuvent connaître ce travers : débrayer pour y retourner sans rien changer.
La prière apparaît tout autre
Il s’agit de nous laisser indiquer le lieu de notre vie, là où notre cœur doit battre, et si c’est sur un lieu de conflit, allons-y ! La prière, c’est à la fois se reposer en Dieu, et cela est en effet une expérience de sérénité ; mais c’est aussi faire sien le combat du monde. C’est aussi soigner cette « faculté de pâtir » sans laquelle, disait Hannah Arendt, la « faculté d’agir» est vaine.
C’est au cœur de la vie intérieure que Dieu se révèle à la fois présent dans les événements, les relations à soi et aux autres et aussi comme Celui qui fait irruption dans ce silence en tant que Tout Autre. Dieu se manifeste à l’homme dans sa relation à lui et sa présence se fait percevoir à travers les moments d’arrêt, de silence, de recueillement. Et comme dans toute relation humaine, la relation à Dieu nécessite également des rites qui rythment la rencontre et installent des repères (tout comme le renard avec le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry).
Thierry Bastin
In Courants, Novembre-Décembre , paroisse de Rixensart
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