En février 2024, tous les journaux flamands titraient « la première féministe de Gand, Emilie Claeys, a sa propre salle au musée » (dans Ons Huis – Vrijdagmarkt), avec une plaque et une petite exposition permanente. Elle est également reprise au Canon flamand. Mais ce qui n’est pas précisé, c’est qu’elle a aussi eu des liens avec l’église protestante du Brabantdam à Gand.
Emilie née le 8 mai 1855 dans une famille ouvrière de Gand. Son père meurt prématurément et Émilie est envoyée dans un pensionnat catholique. Elle vit chez deux dames de la bourgeoisie qui lui donnent une éducation soignée. Lorsque sa mère tombe malade, Emilie doit, comme beaucoup de ses contemporains, contribuer au revenu et à la subsistance de la famille (ses quatre frères et sœurs) ; elle travaille alors dans une filature.
Dans cette usine textile, Émilie est confrontée à des conditions de travail épouvantables. Elle écrira plus tard à ce sujet : « nous travaillions 12 à 13 heures à l’usine, 2 à 3 heures de plus à la maison le soir, ce qui fait un total de 14 à 16 heures de travail par jour, un peu trop pour rester vigoureuses et en bonne santé. (…) Bien que dans de nombreux cas nous accomplissions un travail d’homme, nous n’étions payées que la moitié, non que notre ouvrage travail ait été moins bon ou moins quantitatif, mais seulement en notre qualité de femmes ». Pour elle, les idéaux socialistes et les droits des femmes vont de pair.
À l’âge de vingt-deux ans, afin de préserver son indépendance, Emilie choisit et assume de demeurer mère célibataire. Elle donne naissance à sa première fille, Elvira , rejointe quatre ans plus tard par sa cadette Clara – toutes deux sont de père inconnu. Son expérience de mère célibataire issue de la classe ouvrière est à l’origine de son activisme politique. Elle s’opposera sans relâche à l’injustice et à l’oppression dont les femmes sont victimes.
Ainsi, en 1886, elle prend la tête du Club de propagande socialiste des femmes de Gand et monte aux barricades pour l’égalité d’éducation, l’égalité des salaires, le suffrage féminin, le contrôle des naissances, l’indépendance financière des femmes et enfin l’égalité au sein de la famille, dans la loi et sur le marché du travail. Des questions très sensibles dans la seconde moitié du XIXe siècle !
Avec Nellie van Kol (NL) – une amie de toujours – elle fonde le magazine De Vrouw (La Femme) en 1893. Ses articles, signés sous le pseudonyme de Lilian, sur le contrôle des naissances et les contraceptifs (strictement interdits et illégaux à l’époque) ont valu au magazine d’être inscrit à l’index catholique des lectures interdites.
En 1885, 59 coopératives fondent le Parti Ouvrier Belge (POB). Parmi les fondateurs, aucune femme. Ce n’est que six ans plus tard qu’ Emilie devient la première femme à être intronisée au Bureau du Conseil Général du POB. Deux ans plus tard, elle est élue au Conseil National et devient rédactrice en chef du journal socialiste Vooruit (En Avant). La raison en est qu’une femme ne peut être condamnée à une peine d’emprisonnement dans les nombreux procès intentés par les catholiques contre le journal.
Les « seigneurs des Églises et du Capital » ne cessent de faire pression pour que le droit de vote des femmes soit retiré du programme du POB, ce qui finit par se produire. Emilie est de plus en plus désenchantée par le fait que les droits des femmes restent théoriques au sein du parti et considère que sa position n’est plus tenable. Lorsqu’elle part vivre avec un homme marié en 1896, les antisocialistes en profitent pour la clouer au pilori. Le journal catholique Het Volk publie un article l’accusant d’adultère. Elle démissionne du POB. Dans des lettres ultérieures, elle décrit de cette affaire comme « Le scandale qui a été fait autour de mon nom et pour lequel je suis toujours rejetée et blâmée… Je dois rester « silencieuse au sein de mon pays » mais aider, réconforter et encourager partout où mon aide est demandée ou semble être nécessaire ».
Emilie n’a pas connu une existence opulente. Après 1896, les revenus de la famille se limitent au travail de ses deux filles, qui cousent des chaussures à domicile, et à celui d’Emilie, qui est blanchisseuse, une tâche qui peut s’effectuer à la maison, son mari étant alité. Nellie participe financièrement de temps en temps.
Sa famille n’est pas épargnée par les difficultés. En 1898, sa fille aînée Elvira devient mère célibataire ; puis elle se marie, un an plus tard, et divorce au bout de quatre ans. En 1910, Emilie quitte Gand pour s’installer à Gentbrugge avec ses deux filles et sa petite-fille Yvonne.
Au début des années 1900, Emilie est membre active de la paroisse réformée évangélique de l’église de Brabantdam, qui a alors pour pasteur J.D. Domela Nieuwenhuis Nyegaard (1870-1955). Nous ne savons pas quand elle est devenue protestante. Nellie van Kol était déjà amie avec la famille Domela et s’était rendue plusieurs fois au presbytère avant 1914. Sa correspondance avec Emilie comportait de nombreuses discussions sur les thèmes de la foi, et c’est Nellie qui lui a offert un Nouveau Testament.
Emilie est restée très croyante, dans l’esprit de la Réforme, jusqu’à la fin de sa vie. Elle n’a probablement pas fait profession de foi, car son nom n’apparaît pas dans le registre des membres. Elle attachait peu d’importance aux formes et aux lois et était trop indépendante et trop socialiste pour adhérer formellement. Emilie a trouvé chez le pasteur Domela un enseignant large d’esprit et tolérant en matière de foi et de morale.
Lorsque Domela s’est enfui aux Pays-Bas par péniche en octobre 1918 avec sa famille et tout le contenu du presbytère de Coupure, une partie de ses archives politiques a été confiée à « une camarade très loyale » à Gentbrugge. Emilie n’avait pas participé à son activisme, mais elle avait une grande compréhension et une grande sympathie pour « le caractère idéaliste » du mouvement. En 1919, Domela a été condamné à mort par contumace pour son activisme politique pendant la Première Guerre mondiale. Au début de l’année 1941, lors de son premier voyage en Flandre depuis 1918 dans l’espoir d’une réhabilitation légale, il rendit visite à son amie désormais chargée d’ans, Émilie. Ils avaient été en contact régulier pendant toutes ces années, par l’intermédiaire du second pasteur Benjamin van Kesteren.
La santé d’Émilie s’est détériorée et elle s’est affaiblie au fil des années. Une lettre qu’elle a écrite à son « honorable ami et professeur » a été conservée. Il s’agit d’une lettre à forte connotation religieuse, dans laquelle elle s’en remet au Seigneur qui « …. . trouvera aussi un chemin, le long duquel nos pieds fatigués pourront avancer en toute sécurité », paraphrasant l’hymne « Beveelveel gerust Thy wegen », Il s’agit d’un hymne de confiance et d’acceptation. Emilie souffrit en effet énormément et sa prise en charge pesa lourdement sur sa fille Clara. La mort d’Émilie à l’âge de 87 ans en février 1943 a été une véritable rédemption – elle est décédée pendant son sommeil à l’hôpital où elle n’est restée que quelques heures.
Josiane Tytens in Kerbrief, Gand-Centre
Photo : https://www.solidair.org/artikels/als-het-werkvolk-geschiedenis-maakt-emilie-claeys-1855-1943