Intériorité et taichi chuan

Connaissez-vous la vraie profondeur de cette discipline millénaire, profondeur souvent insoupçonnée ?

Non ? Alors, je vous propose de faire plus ample connaissance…

 

« Taichi » signifie littéralement « faîte suprême », ou bien encore « fondement de l’univers ». Le terme est apparu dans le traité du « Yi King » dont les éléments furent élaborés pendant plusieurs siècles dans le courant du premier millénaire avant Jésus-Christ, une période que nous savons féconde, notamment par la composition du Premier Testament. Le parallélisme est d’ailleurs interpellant.

La partie du Yi King qui nous intéresse aujourd’hui, aborde les grands principes régissant le cosmos: le « Wu-chi », vide chaotique primaire, va petit à petit et sous l’influence du « Chi », le souffle féminin, omniprésent, animant l’univers, faire se regrouper ses constituants masculin, le Yang, et féminin, le Yin, pour les mettre en vis-à-vis, dépendant à jamais l’un de l’autre pour le plus grand équilibre : le Tai-Chi.

De son côté,  «Chuan » signifie « poing ou boxe ». Le taichi Chuan sera donc le «combat du faîte suprême ». Mais il ne faut pas y voir d’abord un combat, la victoire de l’un sur l’autre. Mon Maître avait coutume de dire : « Good Taichi, no fight ! » Bien plus qu’un combat, il s’agit de rétablir un équilibre rompu, en soi ou avec d’autres, et de le préserver pour se réaligner sur le Chi suprême.

Dans l’apprentissage du Taichi, on travaille le relâchement du corps et de l’esprit -que les Chinois appellent « le singe fou »-, la respiration profonde,  la complémentarité entre « boxeurs », la parfaite circulation du « Chi » dans les méridiens et son stockage dans le centre du corps : le « Tan Tien ». Nous voilà au cœur du thème de ce Courants : l’intériorité !

Dans la classification des arts martiaux, le Taichi fait partie des arts « internes ». En effet, au fur et à mesure de l’apprentissage et de la pratique, les aspects extérieurs se réduisent de plus en plus ; c’est la qualité de présence à soi-même, le calme de l’esprit, la circulation sans entraves du Chi dans le corps et au-delà qui témoignent d’une parfaite maîtrise. Ainsi va « la danse de longue vie ». Sans oublier un ingrédient essentiel : le sourire !  D’où l’autre maxime bien connue de Maître Ding : « No fun, no taichi ! »

(…)

 

Le Centre

Tan Tien en chinois, Hara en japonais ; dans le monde occidental, on parle parfois du « cœur » qui ne désigne alors pas l’organe mais bien le centre énergétique du corps, localisé pour les Asiatiques à trois travers de doigt sous le nombril. Tout part du centre et tout revient au centre.

En Asie, « méditation » ne signifie pas « réflexion approfondie sur un sujet donné » mais bien, au sens étymologique: « action de se placer dans son milieu, son centre — medium ». Pour quoi y faire ? C’est un peu comme si je me plaçais au centre de ma maison pour percevoir au mieux de mes facultés ce qui est « dedans » et ce qui est « dehors », et surtout l’alignement, la syntonie entre le dedans et le dehors. La perception prend le dessus sur les paroles. Pourquoi ? Pour laisser la conscience s’étendre au-delà du corps.

Tel est ce premier temps d’intériorité en taichi : une qualité de présence à soi, en soi et autour de soi.

Ce n’est pas tout !  Cette qualité de présence harmonieuse au tout qui nous entoure est … prière.

Le Robert définit ce terme comme : « Mouvement de l’âme (entendons souffle, essence de notre être) tendant à une communion spirituelle avec Dieu. »

Pour compléter cette brève introduction, j’aimerais céder la parole au psychothérapeute et Maître Zen, Karlfried Graf Dürckheim, qui nous parle du « Hara » :

 

Karlfried Graf Dürckheim, Le Hara, Le Courrier du Livre, 1974 et 2008, p.191

« L’expérience de cette force n’est pas seulement un moyen de mieux vivre en ce monde, elle procure une chose beaucoup plus importante : l’expérience d’une “dimension” située bien au-delà de l’horizon naturel. Mais il faut en prendre conscience.

Au fur et à mesure que l’humain s’enracine dans le Hara, il sent naître en lui une force qui n’est pas celle que l’on “a”, mais celle sur laquelle tout notre être repose, celle que l’on “est” manifestement au fond de son être. Il prend grâce à elle conscience de sa participation à « l’Être » dont il fait partie intégrante dans un sens profond et envers lequel le Hara libère cette “force” venant de l’Être qui fait disparaître la peur et donne la confiance, mais il s’ouvre aussi à une autre lumière et à la perception d’un sens plus profond. (…)

L’humain qui a le Hara ne se sent pas accepté ou renié selon les circonstances, mais porté, enveloppé avec amour par la vie tout entière. Aussi émane-t-il de sa personne quelque chose de bon. Il est empreint de l’unité de l’Être, du Grand UN au sein duquel les oppositions disparaissent, et il a accès, de ce fait, à une forme d’amour qui n’est pas égocentrique, possessive, ni fixatrice, mais constitue un véritable abri… »

 

[Notre pasteure Yolande Bolsenbroeck] nous demandait : « Comment cultivez-vous l’intériorité ? »

Si vous m’avez lu jusque-là, vous aurez une petite idée de ma réponse. La découverte et la pratique toujours plus fine de techniques d’exploration de mon intériorité m’ont permis de renouer avec la saveur de la prière et celle de nombreux passages bibliques qui ont finalement pris sens dans mon quotidien.

 

Terminons par deux versets bibliques pour se dire au revoir :

 (…) Ne perdons pas courage. Et même si chez nous l’être extérieur dépérit, l’être intérieur se renouvelle de jour en jour. 2 Co 4, 16 

Le cœur de l’être humain médite sa voie mais c’est l’Éternel qui affermit ses pas. Pr 16, 9

 

Que Dieu vous garde !

 

Frédéric Vilain

 

In Courants, Novembre-Décembre 2021, paroisse de Rixensart

Image : photo fournie par F.Vilain

 

 

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