Interview : les centres protestants réagissent à la crise

Il y a en Belgique 2 centres protestants dont la vocation est d’accueillir et d’accompagner la jeunesse. Bien que francophones, ils sont ouverts à toutes les communautés linguistiques. La pandémie a bien entendu eu des conséquences sur leur activité. A travers leur expérience, Sarah Dehousse (SD) du centre protestant de Nessonvaux (CPN) et Frédéric Nérinckx (FN), du Centre Protestant d’Amougies (CPA), nous donnent un aperçu de la situation des enfants, des ados et des jeunes adultes pendant le confinement et des défis qui se dressent devant elle.

 

Qu’est-ce qu’un centre protestant ?

SD : Les Centres Protestants sont des Centres de Rencontres et d’hébergement reconnus par la Fédération Wallonie Bruxelles. Ils doivent disposer de minimum 50 lits et des locaux d’activités, accueillir prioritairement des jeunes de 12 à 26 ans, être en soutien aux dynamiques des jeunes et de la localité et favoriser la CRACS attitude (Citoyenneté Responsable, Active, Critique et Solidaire) dans les différentes activités qu’ils réalisent.

FN : Nous organisons des weekends, des camps de vacances et des activités ouvertes à toutes et tous, sans distinction d’idéologie. Par ailleurs, nous accueillons régulièrement des classes de dépaysement pour tous âges.

 

Les travailleurs des centres protestants ont été les témoins de la situation difficile de la jeunesse, avec un panel d’actions vers les institutions. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

SD : Dès le départ, nous avons remarqué que les jeunes, comme les autres classes d’âge, étaient impactés. Plus d’école, école à distance, privation de lien avec les copains, liens avec la famille…tout ça s’est arrêté soudainement. Pourtant, un ado se construit surtout en dehors de sa famille, avec son réseau d’amis et d’activités extra scolaires…Nous avons entendu des situations compliquées : étudiants qui avaient de mauvaises connexion, élèves en décrochage scolaire, difficultés au sein des familles (entre parents qui télétravaillent, enfants à la maison, manques de moyens, place non disponible pour travailler…). D’autres encore nous ont fait part de leur résignation face à la situation : ils perdent leur esprit créatif, aventurier…ils regardent la TV, jouent sur leurs GSM, se connectent aux visio pour l’école… le fait de sortir de chez eux, de leur chambre ou salon devient très compliqué.

Ces constats, l’ensemble des maisons de jeunes et CRH l’ont fait…et nous souhaitions être entendus!

Nous avons donc demandé à ce que ces difficultés des jeunes soient prises en considération dans l’élaboration du plan de relance.

Nous souhaitons que les acteurs de terrain de première ligne puissent remplir leurs fonctions dans leur travail avec la jeunesse afin que ces derniers puissent trouver de l’oxygène ailleurs que chez eux.

Une action sur toute la Wallonie-Bruxelles a eu lieu le 24 février dernier, une autre le 24 mars…d’autres suivront. Il est important de reconsidérer la jeunesse comme essentielle!

FN : ce que Sarah dit est très juste et nous le confirmons. J’ajouterais que notre antenne délocalisée n’a pu rester en contact avec les jeunes que par visioconférence, ce qui ne remplace pas la chaleur humaine. Quand les activités ont été à nouveau possibles cela a été sur inscription. C’est compliqué pour un jeune qui fonctionne plutôt de manière spontanée. De plus, les jeunes ont pris d’autres habitudes.

Nos animateurs ont, eux, beaucoup souffert de ne pouvoir organiser de camp à Pâques l’année passée. Je me souviens que certains d’entre eux étaient venus en cachette suspendre une banderole pour nous soutenir. Le camp d’été a pu avoir lieu, ce qui les a soulagés. Cette année, le camp résidentiel est remplacé par une plaine sans hébergement, ce qui leur crève le coeur. Nous avons sollicité nos jeunes animateurs bénévoles pour nos actions de revendication sur les réseaux sociaux. Nous sommes persuadés qu’ils sont les acteurs principaux du monde de demain. Il faut leur laisser la possibilité de vivre, de prendre leurs responsabilités et d’inventer d’autres moyens de travailler ensemble.

Si les camps résidentiels sont interdits, les plaines ne le sont pas. Nos jeunes bénévoles continuent de s’investir dans leur organisation. Et ce, malgré les contraintes, comme le port du masque, les bulles de 10 et l’interdiction de se fréquenter entre bulles. Ils nous montrent leur résilience au quotidien et forcent notre admiration. Ils savent que les enfants et les ados dont ils s’occupent ont besoin d’air et de liberté. Ils ont donc adapté leur manière de fonctionner et continuent de travailler pour eux, tout en respectant les restrictions.

 

Est-ce que vous avez réussi à toucher les jeunes et leurs familles ?

SD : Les liens ont été maintenus avec les jeunes fréquentant de façon régulière nos CRH. Nous avons ouvert nos portes pour le soutien scolaire et social…hélas, nous remarquons que beaucoup sont dans le « tout va bien » alors qu’il n’en est rien. Il est difficile pour une famille de dire « Dur dur de travailler tous à la maison » ou « mes enfants sont en décrochage scolaire » ou « on n’en peut plus »! Et même une fois que les difficultés sont exprimées avec des mots il est compliqué de se donner les moyens de surmonter la situation.

La peur et la prise de distance sont présentes chez tout le monde. Il va falloir ré-apprendre à sortir de chez soi,à vivre en groupe, à se projeter dans l’avenir… ce sera long, mais on sera présent!

FN : les liens ont été conservés, certainement avec nos animateurs bénévoles et les jeunes du village comme expliqué plus haut. Mais une visio ne remplacera jamais la chaleur humaine.

 

Aujourd’hui, quelles sont vos perspectives et vos projets ?

SD : Nous espérons pouvoir ré-ouvrir bientôt… mais! L’été certainement…doucement, mais surement. Les groupes ont peur de revenir, vu que les confinements sont à répétitions, les réservations ne se poussent par aux portillons…

Nous espérons continuer notre dynamique d’accueil « en plaine de vacances » (offre supplémentaire aux séjours résidentiels) 3x l’année et de renforcer l’aspect « expo culturelle » au sein de nos nouveaux espaces qui ont été rénové pendant l’année de confinement.

FN : notre camp d’été reste prévu. Bon nombre de réservations ont été reportées à l’avenir (et l’ont parfois déjà été plus d’une fois). Nous restons donc confiants, les groupes reviendront. Et nous savons que ce public plus fragile évoqué plus haut sonnera à notre porte.

Les fondateurs du Centre ont, à leur manière, pansé les blessures de la guerre. Nous trouverons la nôtre pour soigner ces souffrances sociales que la pandémie a causées.

 

Quels sont vos souhaits pour les jeunes ?

SD : Qu’ils osent amener le changement! Qu’ils osent s’engager vers autre chose.

La pandémie nous apprend que nous ne sommes pas immortels et que les choix du passé ne sont pas tous bons. Il faut remettre l’essentiel au centre de nos vies : le respect de l’autre, de la nature, des biens matériels acquis… la vie n’a pas de prix et chaque instant perdu reste perdu! Il faut profiter de chaque instant dans le respect du monde dans sa globalité.

FN : qu’ajouter d’autre à ce que dit Sarah ? Qu’ils continuent de croire au monde de demain, à le rêver et qu’ils osent en être les acteurs. Qu’ils aient confiance dans leur capacité à changer tout.

 

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