Kébès en sa nuit

Bonjour,

 

Permettez que je me présente.

Je m’appelle Kébès.

Dans votre langue, cela ne signifie peut-être rien, mais dans celle du pays où je vis ce nom dit presque tout de qui je suis. Dans votre langue, je m’appellerais « Mouton », tout simplement.

Mais je préfère Kébès. Ça sonne mieux, vous ne trouvez pas ?

Et puis « mouton », cela fait tout de suite penser à ceux du berger Panurge… Vous savez, ceux qui suivent le mouvement sans réfléchir, et hop, les voilà au bas d’une falaise, tous morts, parce qu’ils ont suivi le premier… z’étaient un peu bêtes ceux-là !

Mouton, cela peut faire penser aussi à « mouton blanc » et « mouton noir ». Et là , tout de suite, il y en a un qui est mal vu, juste à cause de sa couleur. C’est idiot, non !

Dans mon troupeau,

y a des moutons tout blancs et des tout noirs

et des tout entre les deux ;

y a des tout grands et des tout petits

et des tout entre les deux ;

y a des tout gros et des tout maigres

et des tout entre les deux ;

y en a même qui marchent droit et des qui marchent de travers

et des qui marche entre les deux ;

y en a qui sont presque parfaits, suivant vos critères que je ne comprends pas,

et des pas parfaits du tout

et des entre les deux ;

notre troupeau c’est un monde,

c’est tout le monde…

 

Notre berger – David qu’il s’appelle – il nous aime tous pareillement !

Même qu’un jour, y a eu une jeune brebis qui s’est perdue[i].

Lui, il a tout de suite su qu’il en manquait une… pourtant nous sommes 100, ce n’est pas rien !

Et bien, lui c’est un bon berger[ii]. Il nous a mis dans l’enclos et il est parti à la recherche de celle qui était perdue. Il ne lui a pas fallu longtemps pour la trouver… quand on aime, on sait où se trouve l’autre, on le sent, on le ressent.

Elle, elle a eu peur, pour sûr. Elle tremblait tellement qu’il l’a mise sur ses épaules.

Lorsqu’ils sont arrivés, tout le reste du troupeau s’est mis à bêler de joie parce que la brebis perdue a été retrouvée.

Le père de David était tellement heureux – oui, parce que David a un père, il l’appelle Père, parfois « des Cieux » (je ne sais pas ce que ça veut dire, mais ça doit être important d’être « des Cieux ») – il était tellement heureux qu’il a fait laver, brosser et même parfumer la tête de la jeune brebis. Il a invité ses amis, et on a tous fait la fête, parce que personne n’est mort, même pas le veau gras. Et personne n’était jaloux[iii].

 

Avec David, notre berger,

nous ne manquons de rien.

Il nous fait reposer dans de vertes prairies,

il nous conduit auprès des eaux calmes.

Il nous redonne des forces

et nous marchons dans les chemins les plus sûrs.

 

Si nous nous engageons dans une vallée très sombre,

pas de malheur,

son bâton et sa canne nous rassurent.

Il est avec nous.

 

Pâturage en réjouissance – le loup ne peut rien contre nous.

Onction de bonheur,

notre joie est débordante.

 

C’est sa tendresse et son amour qui nous accompagnent

chaque jour de notre vie.

 

Je veux être de son troupeau

pour la durée de mes jours.[iv]

 

Chant : Le Seigneur est mon berger (264 J’aime l’Éternel)

 

Il faut que je vous raconte ce que nous avons vécu ces dernières semaines. Des choses pas banales, enfin si, au moins au début… quoi que, je me demande…

 

Nous étions, tout le troupeau, dans une plaine à brouter, sous la surveillance de David notre bon berger, et d’autres venus l’aider.

Nous étions heureux,

heureux même si nous étions pauvres aujourd’hui,

heureux même si nous avions faim parfois,

heureux même quand il y en avait parmi nous qui pleuraient.[v]

Sous la gouvernance de David et de son Père, rien de mal ne pouvait nous arriver !

 

C’est là que nous avons vu s’approcher un drôle d’équipage. Devant, il y avait un homme jeune qui ouvrait la marche. Derrière lui, un âne et sur son dos une jeune femme, enceinte, et manifestement son accouchement serait pour bientôt.

Je ne sais pas pourquoi, nous nous sommes écartés pour leur ouvrir le chemin, et nous avons bêler pour les accueillir… les pierres auraient pu chanter avec nous[vi]… le chemin, la vie… c’était beau, c’est la vérité… Tiens, c’est marrant ce que je viens de dire : le chemin, la vérité et la vie[vii]… c’est beau, n’est-ce pas…

 

L’homme s’est avancé vers David. Il lui a demandé dans quelle direction était la ville de David ? David a ri et a répondu que sa ville, elle est partout où il y a son troupeau, qu’il n’a pas d’autre lieu où poser sa tête[viii] que là où est son troupeau, et que c’est bien ainsi… Je crois que l’autre n’a pas tout compris, sauf que l’enfant a tressailli dans le ventre de sa mère[ix], comme pour dire qu’il était d’accord.

 

David a fini par leur dire que lui-même s’appelait David, et ils ont ri ensemble. Puis, il leur a montré la direction de la ville de David, et les a invités à partager un peu de pain et de vin, ou de lait pour la futur maman. Ils ont partagé le pain, le vin[x] et le lait, avec un peu de miel du pays[xi]… et ils sont partis, et déjà ils nous manquaient…

 

Chant : Des cieux vers nous s’avance (Alléluia 31/07 § 1.2.3.4)

 

Ensuite, plus de nouvelles… c’est normal.

Jusqu’à l’autre nuit.

Comme il faisait doux, tout le monde dormait dehors, même les bergers qui restaient autour du feu allumé pour éloigner les loups.

Personnellement, je n’arrivais pas à m’endormir, ou quand j’y arrivais je faisais toujours le même rêve qui me réveillait. J’y voyais des loups justement, et des agneaux. Mais les loups ne mangeaient pas les agneaux et les agneaux ne craignaient pas les loups, tous habitaient ensemble, paisibles et heureux[xii]… ça me réveillait tant c’est finalement inquiétant la paix et le bonheur quand ce n’est pas l’ordinaire.

Soudain, il y a eu une grande lumière blanche venue du ciel. Tout le monde a été surpris et a pris peur : la lumière au bout du grand tunnel, nous sommes tous morts ! Et ça bêlait à qui mieux mieux et ça courait dans tous les sens ! Même les bergers ne savaient plus quoi faire. Le plus étrange, c’était que la lumière nous englobait nous, juste nous et pas le reste de la région.

Et puis, il y a eu un grand bruit, comme une voix. Je n’ai pas bien compris, mais David et les autres ont tendu l’oreille. Ensuite, un grand moment de silence[xiii] – comme si un ange passait – et tous se sont mis à chanter…

 

Chant : Gloria (Alléluia 32/27 juste le Gloria)

 

Après cela, David m’a pris sur ses épaules, deux autres bergers ont fait pareil avec des agneaux. Ils se sont mis à courir jusqu’à la ville de David (pas le mien, l’autre). Là, dans l’étable à côté de l’hôtellerie, nous avons retrouvé le jeune couple. Lui et elle, et entre eux un enfant emmailloté. L’homme – Joseph, parait-il – paraissait un peu chamboulé. Elle, Marie, était tout à son pur bonheur.

Nous les avons vus, nous avons cru[xiv], même moi.

Comment ne pas croire quand le bonheur est là, autour de vous et en vous ?

Maintenant, je peux enfin le dire : je n’ai plus peur de lui.

Je peux le rêver sans crainte, je peux l’envisager.

 

Sept paroles[xv] me sont venues spontanément, sans que je sache très bien pourquoi. Je les ai clamées dans un tendre bêlement :

Oh le fils ! Oh la mère !

Il a soif d’amour, moi aussi.

Jamais plus je n’aurai le sentiment d’être abandonné.

Nous sommes dans un jardin nouveau.

Emplis de pardon.

Entre vos mains à tous, je m’en remets.

Tout est bien ainsi.

 

L’enfant a souri comme pour dire qu’il entendait, qu’il comprenait.

Il a tourné la tête vers David qui s’est agenouillé.

Puis il a babillé : prends soin de mes brebis[xvi] ; oui, je viens bientôt[xvii].

Alors, nous sommes repartis dans la nuit, le cœur brûlant[xviii].

puisque notre cœur est son royaume[xix].

Ce fut une nuit bienveillante, une nuit rassurante,

comme celle d’un premier matin,

le temps de l’Éternel[xx],

du temps de l’enfantement à celui de la paix[xxi].

 

Il y a eu cette nuit, il y a un matin[xxii].

C’est vrai, il vient, il est venu et il viendra[xxiii].

 

Chant : Ô nuit bienveillante (Alléluia 32/23 § 1.3)

 

Bruneau Joussellin

 

[i] Luc 15

[ii] Jean 10

[iii] Luc 15

[iv] Psaume 23

[v] Luc 6

[vi] Luc 19

[vii] Jean 14

[viii] Luc 9

[ix] Luc 1

[x] Luc 22

[xi] Exode 3 & Cantique des cantiques 4

[xii] Esaïe 11

[xiii] Apocalypse 8

[xiv] Jean 20 & 1 Jean 1

[xv] Les 7 paroles du Christ en croix

[xvi] Jean 21

[xvii] Apocalypse 21

[xviii] Luc 24

[xix] Luc 17

[xx] Chant : Ô nuit bienveillante

[xxi] Ecclésiaste 3

[xxii] Genèse 1

[xxiii] Apocalypse 21

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