Qui sait si le souffle des fils de l’homme monte en haut, et si le souffle de la bête descend en bas dans la terre ? (Ecclésiaste 3/21)
Il suffit de passer quelques heures en compagnie des animaux pour découvrir leur sensibilité, leurs émotions, leur attachement, leur empathie, leur capacité à souffrir et à se réjouir. Les éthologues d’aujourd’hui découvrent chez beaucoup d’espèces une intelligence, une mémoire ou un sens moral insoupçonnés. Chaque espèce possède des dons singuliers qui la rend différente des autres, et parfois même supérieure dans tel ou tel domaine.
Les philosophes se sont penchés sur la question de l’âme des bêtes. Montaigne, Voltaire, Rousseau se sont élevés pour défendre les animaux. Schopenhauer estime que c’est la souffrance, et non la raison, le véritable critère du respect moral. Victor Hugo, Emile Zola appellent à la protection des animaux. Il existe aujourd’hui une demande pour une théologie de la Création qui ne serait plus l’habituelle théologie anthropocentrique. « Nous pouvons nous scandaliser du silence des Eglises pendant pratiquement deux mille ans, en dépit de l’exemple de quelques saints. Si l’Evangile se tait, il suffirait cependant que l’esprit des Béatitudes soit pris au sérieux par les chrétiens pour nos frères différents, si cruellement traités jusqu’ici et dont le sang crie contre nous, trouvent place aussi sur la montagne sainte où « il ne se fera ni tort ni dommage » et où les soupirs de la Création se verront enfin exaucés. » (Théodore Monod)
A l’heure où les scandales de non-respect de la vie animale ne cessent de faire parler d’eux, nous sommes en droit de nous demander : « Quelle est la place de l’homme dans la Création, quel est le devoir de la gent humaine à l’égard de la gent animale ? » Luther affirmait déjà : « Quand un homme se convertit, ses animaux même s’en aperçoivent ».
Quand le livre de la Genèse charge l’humain de dominer les espèces vivantes, inclut-il dans les devoirs du maître celui de massacrer et de défigurer ? Nous détruisons aujourd’hui l’oeuvre de milliards d’années, « travaillant » génétiquement bétail et volatile qui seront peut-être meilleurs à la consommation. Déjà la loi de Moïse énonçait des devoirs précis : il faut soulager la bête qui succombe sous le poids d’une charge (Ex 23/5), veiller à ce que l’animal se repose le jour du sabbat (Deut 5/14), de même, il est interdit de manger un animal qui aurait souffert pour mourir, les animaux ont une âme (nephesh) qu’on ne peut consommer par le sang. A Ninive, Dieu veut épargner aussi bien les êtres humains de la ville que les animaux.(Jonas 4/11) Le premier concile de Jérusalem avait sagement recommandé de « s’abstenir de viandes sacrifiées aux idoles » (Act 15/29) – pour aujourd’hui : Rentabilité, Concurrence, Economie. Consommer plus pour moins cher est un slogan qui nous amènera, tôt ou tard, à la destruction et à la négation de la vie. L’animal n’est plus qu’un objet qui doit servir au soi-disant bien-être de l’homme mais ceux qui l’utilisent ainsi sont-ils, au fond, capables de respecter l’humain ? « Il y aurait moins d’enfants martyrs s’il y avait moins d’animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n’avions pris l’habitude des fourgons où les bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en attendant l’abattoir. » (Marguerite Yourcenar)
Les animaux ont-ils une âme ? À première vue, discuter sur l’immortalité de l’âme des animaux peut apparaître comme une entreprise aussi creuse que d’élucubrer sur le sexe des anges. Et pourtant, si un être vivant n’a pas d’âme, il devient un simple objet utilitaire, et il est alors permis de l’avilir et de le traiter comme on a longtemps traité les femmes et les populations asservies. Une théologie qui n’accorde pas d’âme à certains permet, sur le plan éthique, de justifier n’importe quoi. Il y a eu un temps où les humains demandaient pardon aux animaux qu’ils tuaient pour manger. Nous sommes loin de l’univers concentrationnaire des élevages en batterie, des expériences en laboratoire ou autres atrocités… Nous avons besoin, au moins comme idée régulatrice de notre raison pratique, de la foi en l’immortalité des animaux pour fonder une éthique qui accorde la considération qui est due aux êtres qui sont aussi des créatures comme nous. Nous ne devons pas sauver les animaux mais nous avons bien le devoir de les laisser en paix dans la mesure du possible. L’incarnation doit-elle être considérée comme ayant eu lieu dans l’humanité au sens restrictif ou dans l’univers terrestre au sens large ? Le Christ est-il venu sauver l’humanité ou la création tout entière ? Ces questions veulent amener à des engagements à partir du « droit à l’immortalité » sur le plan éthique, politique, juridique… et … théologique, espérons-le.
Maryse Gallez in La Colombe, avril 2022, paroisse de Boitsfort
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