Le long chemin des femmes vers le ministère dans l’Église protestante

La légitimité pastorale se fonde sur la vocation interne (appel personnel) et externe (la communauté reconnaît au pasteur qu’il/elle peut exercer cette fonction). Outre la vocation, la formation académique a toujours été un prérequis pour devenir pasteur. Or les études de théologie n’ont pas été accessibles aux femmes jusqu’au XXe siècle.

Mais la Réforme définit le principe du sacerdoce universel, ce qui veut simplement dire que, pour les protestants, le sacerdoce est accessible à toutes et tous. Les fidèles peuvent, s’ils sont croyants et baptisés, exercer un sacerdoce, être au service de l’Église.

Dans les premiers temps de la Réforme, certaines femmes en ont déduit qu’elles étaient tout à fait compétentes pour prêcher elles-mêmes et devenir pasteures. Au XVIème siècle, il y a eu, à Genève,  le mouvement des prédicantes, mais la société n’était pas prête. Quand les études de théologie ont été accessibles aux femmes, elles ont d’abord exercé des ministères dits « féminins » comme l’enseignement aux enfants, par exemple.

L’accès aux études et à la pleine responsabilité se sont faits petit à petit.

C’est entre les deux guerres et après la seconde guerre mondiale qu’on a confié à des femmes la responsabilité de paroisses et qu’elles sont devenues pasteures.

 

Il y a eu une parenthèse d’environ 4 siècles, entre la Réforme et le début du XXème siècle. Que s’est-il passé pendant ces quelques siècles pour les femmes ?

Les réformateurs considéraient que le ministère était réservé aux hommes. Il y a eu, au cours de l’histoire, des mouvements de réveil au cours desquels les femmes ont pris la parole, parfois publiquement, en temps de crise.

Les femmes se sont beaucoup engagées dans l’Église, notamment via l’enseignement aux enfants ou les œuvres caritatives – le ministère de diaconesse. Les femmes de pasteur partageaient le ministère avec leur époux.

Ce qui est resté longtemps délicat, c’est la prise de parole publique, en chaire. L’idée que la femme pourrait avoir une autorité par son enseignement sur les hommes.

 

Les situations de crise, c’est, par exemple, les guerres ?

Oui, comme dans les usines, les femmes ont remplacé les hommes dans les Églises. La guerre a paradoxalement eu un effet émancipateur sur la condition féminine, puisque les femmes ont assumé des rôles auxquels elles n’avaient normalement pas accès. Dans certaines sociétés, c’est resté une parenthèse et les femmes ont été renvoyées à leurs foyers après la guerre… mais elles avaient désormais l’expérience d’une liberté et de responsabilités qu’elles n’oublieraient pas.

 

Avec la Réforme, d’autres modèles ont été proposés aux femmes ?

Les femmes catholiques ont surtout eu Marie pour modèle. Traditionnellement, les protestants ont mis en avant le modèle de la femme du livre des Proverbes (31), une femme sage et vaillante, qui se lève tôt le matin, qui travaille, qui mène bien sa maison, qui est capable de faire du commerce.  C’est tout le contraire d’une femme superficielle, qui s’occuperait seulement de son apparence.

Un autre modèle proposé, c’est la Samaritaine, qui s’implique de manière moins traditionnelle, puisqu’elle sort de la maison, elle proclame sa foi et parle de Jésus publiquement, à la fois aux hommes et aux femmes. C’est un modèle pour les prédicantes.

Enfin, il y a eu des femmes martyres de leur foi, qui ne renonçaient pas à leurs convictions et qui sont parfois mortes pour avoir lu la Bible et pour l’avoir avoué…

 

Le protestantisme a-t-il soutenu l’émancipation des femmes ?

C’est une question assez débattue par les historiens. Ce qui est certain, c’est que le protestantisme a favorisé une responsabilisation des fidèles, à tous les niveaux. La femme s’éduque elle-même à travers une lecture individuelle de la Bible et éduque ses enfants de la même manière. C’est donc une valorisation de la femme mariée dans son rôle d’éducatrice.

Le modèle de la femme vaillante du Livre des Proverbes est plus classique, tourné vers le foyer.  Au contraire, le modèle de la Samaritaine est tourné vers l’extérieur. C’est plus remuant et inhabituel pour la société.

Même s’il faut nuancer en fonction des lieux et des types de protestantisme, je crois personnellement que ce dernier été plutôt favorable à l’émancipation des femmes.

 

A partir du moment où les femmes ont accédé au ministère, est-ce que ça a été bien accepté par tout le monde, par les paroisses, par leurs confrères pasteurs hommes, ou y a-t-il eu des résistances ?

Non, cela n’a pas été une évidence partagée par tous. Le débat reste d’ailleurs ouvert dans certaines Églises protestantes plus conservatrices. En religion comme dans d’autre domaines, l’accès des femmes à une position d’autorité et de responsabilité n’a jamais été facile.

Mais les sciences bibliques ont aidé à une évolution positive en la matière. L’exégèse historico-critique a ainsi relativisé certains passages sur la soumission des femmes. Dans les Églises protestantes, petit à petit, ce ministère féminin s’est imposé, mais pas sans discussions.

 

Le protestantisme étant très diversifié, est-ce que les femmes ont des places différentes en fonction des églises?

Je me situe du point de vue de la Réforme du XVIe siècle et des Églises historiques, mais cela ne représente qu’une partie du protestantisme.

Dans  la plupart des Églises protestantes historiques, les femmes ont aujourd’hui accès au ministère féminin. Dans le monde évangélique, certaines dénominations acceptent les femmes pasteures, d’autres non. Ce qui est intéressant c’est qu’autrefois, les Églises qui acceptaient le ministère féminin devaient se justifier ; or c’est maintenant l’inverse. Le fait que dans certaines dénominations les femmes ne puissent pas devenir pasteures est questionné.

 

Peut-on dire que les femmes ont une approche différente du ministère ?

C’est une question délicate, et la réponse variera en fonction de la femme à qui elle est posée ! Je n’en suis pas persuadée. Pour moi, c’est plutôt une question d’éducation, de tempérament et… de capacité à déconstruire les stéréotypes sociaux et de genre pour être véritablement soi-même.

 

Les modalités de prise de décision en protestantisme (décision collégiale, présence de pasteur.e.s et de non pasteur.e.s) permettent-elles une meilleure participation des femmes ?

Les procédures donnent des opportunités… encore faut-il oser les saisir. Il faut encore encourager les femmes (particulièrement les femmes « laïques ») à prendre la parole dans nos institutions ecclésiales. Je suis persuadée que les meilleures décisions se prennent dans des groupes dont la composition fait droit à la diversité: de genre, d’âge et d’expérience, d’ethnie et de provenance. Ce principe est appliqué, par exemple, au Conseil Œcuménique des Églises et favorise réellement la richesse des discussions.

En tant que pasteure, je suis donc attachée et sensible à ce que nos instances de décision soient représentatives d’une telle diversité.

 

Past. Laurence Flachon
Propos recueillis par Jean-Guillaume DeMailly sur RCF Bruxelles

 

 

 

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