Mémoire vive

Cela commence tout doucement à se savoir : une attention redoublée a été accordée ces dernières années par le conseil synodal aux archives ecclésiales de l’EPUB. Des archives… Un terme pas très « glamour », qui sent la poussière et l’humidité. Mais une réalité passionnante, quand on a la chance comme l’EPUB d’avoir près de deux siècles d’existence et une histoire très riche.

 

La problématique des archives est aussi vieille que l’Église elle-même. Dès le 19e siècle, les Églises de tradition réformée se soucient de leurs archives. Et ce, pour plusieurs raisons : la rotation des mandats oblige à l’enregistrement des décisions pour assurer la continuité de la gestion ; les autorités synodales veulent pouvoir rendre des comptes aux communautés locales, dont elles sont les mandataires ; et puis, les Églises désirent conserver la trace de conversions, persécutions, évangélisations à des fins d’édification et pour montrer les progrès de la Réforme en Belgique.

 

Mais après la création de l’EPUB, en 1979, de nombreux cris d’alarme furent lancés par les pasteurs Hugh Boudin, Willy Willems, Arie de Raaf et d’autres : les archives de l’EPUB et celles des dénominations qui l’avaient précédées (Église méthodiste, Église Réformée, Église Protestante, Église Silo, Gereformeerde Kerken) étaient en danger. Le déménagement du siège de l’Église de la rue du Champ de Mars à la rue Brogniez, en 2009, accéléra le processus de réflexion. Que fallait-il faire avec les centaines de mètres de  « vieux papiers » qui encombraient les caves ? Le passé est une corde sensible à l’âme de nombreux protestants et la décision fut finalement prise de les transférer au nouveau siège de l’Église, puis, en 2016, de nous demander de les traiter en tant qu’archivistes professionnels.

 

Notre mission était double. Au point de vue matériel, nous avons conditionné les archives de façon à ce qu’elles puissent traverser les décennies. Il était déjà extraordinaire que certaines archives aient survécu à dix ou douze déménagements en deux siècles ! Pour prolonger leur survie, nous les avons débarrassées de leurs parties métalliques et plastiques puis emballées dans du papier et des boites non acides. Au point de vue intellectuel, nous avons trié les archives de l’EPUB en fonction de leur origine. Le respect du principe de provenance nous a amenés à créer plusieurs fonds distincts, reflétant ainsi la pluralité du monde protestant. On y retrouve en fait les documents produits par six Églises distinctes, une vingtaine de paroisses, mais aussi une quinzaine d’associations. Tout cela était bien mélangé au départ ! Puis, chaque document fut décrit de façon synthétique et classé pour pouvoir désormais être retrouvé en un « clic ».

 

Les résultats engrangés à ce jour sont déjà impressionnants : 280 mètres (après traitement !) d’archives mises en ordre, 14 inventaires détaillés mis en ligne qui totalisent 1175 pages, 8800 dossiers décrits, plus de 2500 photos scannées, un centre d’archives inauguré en octobre 2019 sous le nom de « Centre Boudin-Willems ». Mais il nous reste encore pas mal à faire, tant en terme d’inventaire que de conditionnement.

 

Les archives représentent un patrimoine exceptionnel, l’empreinte de la foi de dizaines de milliers de protestants. Registres sacramentels, rapports de colporteurs, et de pasteurs, correspondance entre autorités synodales et communautés… montrent en filigrane la vie des paroisses dans les trois régions du pays et dans ses trois communautés, et ce, depuis 1835 ! On y trouve des pièces fascinantes (un autographe de Vincent Van Gogh !), des photos émouvantes (les plus anciennes sont des années 1890), des documents historiques forts comme cet appel à la solidarité avec les juifs allemands persécutés, lancé en 1933 par la communauté protestante de Belgique…

 

Les archives ont les formes les plus variées : affiches, plaques de verre qui servaient naguère à des projections lumineuses, bobines de films, tracts, journaux reliés ou en vrac, registres paroissiaux, plans sur calque… Un patrimoine parfois fragile ! Ici, c’est un recueil de lettres des années 1880 dont l’encre s’efface ; là, des comptes paroissiaux perdus d’humidité ; plus loin, le plan d’un temple qui tombe en morceaux au fur et à mesure qu’on le déplie. Des enregistrements sonores d’émissions radio deviennent illisibles, des fichiers informatiques se perdent… Comme archivistes, nous nous efforçons d’enrayer ces ravages du temps.

 

Cependant, notre travail principal devient, de plus en plus, la communication. À quoi bon conserver, si personne ne consulte ? Les archives synodales sont des archives privées et leur consultation ne peut être revendiquée comme un droit. Cependant, parce que ses archives témoignent de la foi des générations passées et qu’elles sont un patrimoine unique, l’EPUB organise leur consultation, ouvre ses archives à tous ceux qui veulent y accéder (à l’exception des dossiers les plus récents et de ceux qui contiennent des données à caractère personnel).

 

Quelle émotion quand nous pouvons aider une personne ou une collectivité à se réapproprier sa propre histoire ! Plusieurs anecdotes vaudraient la peine d’être contées. Par exemple, celle de cette dame arrivée en Belgique en 1960 dans le cadre de l’évacuation forcée des métis congolais et qui a retrouvé dans nos archive une photo d’époque, prise quand elle fut hébergée temporairement dans un orphelinat protestant. Ou la démarche de l’association « L’Enfant caché » et du Musée juif de Belgique qui, en lançant une « année des justes », ont permis de retrouver trace d’enfants juifs sauvés par des protestants durant la Seconde Guerre mondiale. Ou encore la transmission de quelque 600 photos scannées relatives à l’évangélisation de la région des Grands-Lacs aux autorités synodales de l’Église presbytérienne au Rwanda…

 

D’autres démarches de chercheurs ont un caractère plus académique. Le volumineux ouvrage de Laurence Druez et Julien Maquet sur Le patrimoine protestant de Wallonie, paru en 2017, doit beaucoup aux recherches effectuées dans les archives de l’EPUB. Nous-mêmes, nous avons rédigé plusieurs articles sur le protestantisme en Brabant wallon. Plusieurs étudiants ou doctorants de la Faculté universitaire de Théologie protestante sont aussi venu consulter les archives synodales, comme le pasteur Lukusa, dans le cadre d’une recherche sur l’esprit de mission, ou le pasteur Pierre Mulengwa, qui a réalisé une thèse sur l’EPUB intitulée « Synodes et synodalité dans l’EPUB de 1979 à 2005 ». Le centre Boudin-Willems veut d’ailleurs entretenir des relations privilégiées avec la Faculté de Théologie Protestante, permettre à ses étudiants de mener des recherches approfondies et critiques sur l’histoire de l’Église. Les perspectives ne manquent pas aux chercheurs, qui pourront réaliser des études locales ou générales, sur des thèmes aussi variés que l’anti-protestantisme, l’œcuménisme, le pacifisme, les accointances entre les Églises protestantes et les mouvements politiques socialiste et libéral, les relations avec l’Église catholique, la place de la femme dans l’Église et dans la société.

 

Et l’avenir ? Les archives s’enrichissent régulièrement de documents versés par le secrétariat synodal, par des paroisses qui éprouvent des difficultés à gérer leurs documents, par des associations d’inspiration protestante, par des particuliers qui ont envie de sauvegarder des archives de famille… En décembre 2020, 200 mètres de documents collectés par Prodoc, centre de documentation fondé en 1986 par les pasteurs Willems et Boudin, ont rejoint le centre qui porte leurs noms. Autre défi à relever, celui de la gestion numérique des archives. En outre, l’EPUB veut encourager les paroisses et associations protestantes à sauvegarder leurs propres archives et leur donner des méthodes pour le faire. Le chantier des archives reste ouvert !

Annette Hendrick, Jean-Louis Moreau, Marie Meyer

Archivistes de l’EPUB

Photo: ©archives de l’EPUB

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