« Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie… »
En 1946, Jacques Prévert publiait un recueil de poèmes intitulé « Paroles » et, dans son poème « Pater Noster », critiquait l’hypocrisie de la religion dont les actes ne correspondaient pas aux paroles. C’étaient ses grands-parents paternels, très hypocrites, qu’il visait ainsi.
J’ai lu ce poème au Lycée et ces mots me sont restés à jamais, parmi bien d’autres collectés au cours des études, des lectures diverses, des rencontres et des expériences de vie.
Prévert loue la terre, ses beautés et ses laideurs et il faut lui laisser sa liberté de poète qui résonne encore très fort de nos jours. J’ai été étonnée de l’actualité de certains vers en les relisant.
Il est facile de critiquer l’hypocrisie des autres, mais combien de fois ne sommes-nous pas pris nous-mêmes en flagrant délit de commettre des actes contraires à nos discours, à nos belles paroles. Moi, raciste ? Jamais. Mais je ne veux pas d’un infirmier ou d’un médecin noir. Ah oui, c’est vrai, on ne peut plus dire ni noir, ni black, ni… j’en passe encore des pires. On nettoie le vocabulaire, mais on ne récure pas les pensées et les sentiments. Moi, voleur ? Jamais. Mais je n’hésite pas à rouler le fisc : « ils » utilisent mal notre argent.
Moi menteur ? Jamais. Mais mes approximations, mes réponses évasives poussent comme pissenlits en prairies non traitées.
Moi infidèle ? Jamais. Mais, bah, un petit écart fait du bien pour l’équilibre du couple, du moment que ma moitié est d’accord.
Moi violent ? Jamais. Mais mes paroles tranchantes percent comme des flèches acérées.
Moi avare ? Jamais. Mais je ne partage ni mon temps (je n’en ai déjà pas assez pour surfer sur mon smartphone), ni mon argent (n’ont qu’à se débrouiller et travailler comme moi)
Moi, moi, moi…
J’ai tout écrit au masculin, mais je vous autorise à traduire en féminin. Juste que je n’aime pas l’écriture inclusive !
Voilà pour moi, il faut balayer devant sa propre porte. Nous devons savoir que notre hypocrisie éloigne de la bonne nouvelle du Christ, parfois à tout jamais, ceux qui nous observent de l’extérieur.
D’un autre côté, quand je vois des (futurs) dictateurs et autocrates actuels instrumentaliser la religion, la Bible, s’en servir comme outil de propagande et de pouvoir, je grimpe aux murs en cinq secondes, montre en main. Et quand je dis cinq, c’est beaucoup.
Depuis toujours, les puissants se sont servis de la religion pour amadouer, pour tromper, pour aveugler, rendre sourd le peuple.
Et depuis toujours, des « religieux » ont soutenu des pouvoirs toxiques, dictatoriaux, menteurs, malhonnêtes, pour asseoir leur propre pouvoir, leur subsistance, leurs privilèges.
Toute ressemblance avec des faits actuels n’est pas fortuite.
Heureusement, il y a des poètes et aussi des prophètes qui, parfois au péril de leur vie, disent la vérité : que ce genre de dieu, utilisé à tort et à travers, pollué, tordu, trahi, n’est pas le vrai Dieu. Que celui-là reste aux cieux, en effet, loin de nous : ce n’est pas en lui que nous mettons notre confiance et dont nous essayons de suivre la Parole. Dieu, dont Jésus dit qu’Il est aux cieux, n’est évidemment pas situé géographiquement au-dessus de nos têtes, mais Il est Tout-Autre, tellement différent de ce que nous pouvons appréhender que nous ne pouvons pas l’emprisonner dans nos forfaitures, mais qu’Il remplit, qu’Il déborde, qu’Il abonde, qu’Il fait craquer toutes les coutures de nos petites pensées étriquées.
Ce Dieu-là, ce n’est pas au ciel, bien loin, que nous Le trouvons, mais au creux de nos vies, le long de nos sentiers. Et c’est Lui qui nous fait vivre, comme dit le cantique.
Yvette Vanescotte