On disait que

Je bénis le ciel d’avoir vu le jour en 1944 dans une famille simple et sans beaucoup de moyens, cela m’a permis de vivre une enfance où l’imaginaire pouvait prendre place, entre les pinces à linge et le panier à ficelles toutes emmêlées qui nous permettaient d’inventer de nombreux jeux : l’indien que j’étais, se laissait ficeler au pied de la table par mon cowboy de frère. Bon, pas trop longtemps quand même, faut pas exagérer !

Les meilleurs jeux commençaient par « on disait que… » et c’était parti pour une sortie en péniche (bureau = la cale + chaises autour = le pont), bâton + ficelle = canne à pêche pour survivre durant le voyage.

Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : nous avions quand même quelques jouets, des solides, dont certains subsistent encore.

Wouah, que de bons souvenirs ! Pas de télé pour venir perturber le programme de jeux, pas de rendez-vous sur internet.

 

Je bénis le ciel d’avoir connu une école où, en plus du reste, le dessin, la musique et la couture figuraient encore au programme et -délices suprêmes- la lecture à haute voix par l’une ou l’autre élève méritante (!) d’un livre passionnant pendant la séance de couture.

Bon, maman n’est plus là pour me rappeler combien je pouvais rouspéter à tricoter une culotte en coton (qui piquait au derrière au demeurant) et UN bas jaune (je vous jure) pour apprendre à tricoter un talon avec 4 aiguilles…

Laissons les ans enluminer les bons souvenirs et effacer les autres.

 

Cette enfance a été le terreau d’une vie où la créativité a pu prendre racine : envie d’utiliser ses doigts dans de multiples domaines : cuisine, art floral, jardin, écriture. Oh, pas de grandes envolées lyriques, juste le grain de sel qui donne du goût à la vie.

Je me suis toujours demandé comment il était possible que Mozart entende dans sa tête toute cette musique, tous ces instruments. Je n’entends rien, moi. C’est frustrant.

Sans doute devais-je découvrir autre chose, à mon échelle, dans mes compétences, mes capacités. Avec modestie.

 

Décollons un peu. Imaginons un monde où la créativité serait reine dans les relations sociales, politiques, économiques. Un monde où chacun peut laisser cours à son imaginaire, où les chemins battus sont abandonnés pour les sentiers de la découverte.

Un monde où un effort réel serait fait pour donner place à ce qui fait vivre, ce qui nourrit l’âme, ce qui donne du bonheur. Mais comment y arriver sans offrir à chacun le minimum vital ? Comment être créatif quand on a le ventre creux ? Quoique. On est surpris de la créativité de ceux qui n’ont rien pour arriver à survivre… Que ce ne soit pas un prétexte pour les abandonner à leur triste sort !

 

Je rêve d’un endroit où la créativité pourrait mieux s’exprimer : l’Eglise. Dans les cultes (pas toujours le même schéma), dans les études bibliques (styles d’animation), dans les relations (médiation), découverte de ceux qu’on n’entend jamais et de leurs dons. Il y a des trésors en chacun qui ne demandent qu’à être découverts. Pour cela, il faut leur faire place, leur donner du temps.

Oui, cela augmente le travail. Quel est le problème ?  Le bénéfice retiré ne sera-t-il pas une bénédiction pour tous ?

 

Et dans la vie affective ? Laissons place à l’inventivité, à l’inédit qui renouvelle, qui alimente les sentiments, la tendresse, l’amour. Ne nous cantonnons pas au programme toujours pareil, du style : lundi/rata de carottes, mardi/boudin compote… samedi/bifteck, frites, salade.

Des surprises ! On veut des surprises !

Cela demande de la recherche, du temps, de la réflexion, mais c’est le prix à payer pour choyer ceux qu’on aime. Cela vaut la peine.

 

Des talents nous sont confiés : cinq pour Mozart qui entendait de la musique dans sa tête, un pour Yvette qui rêve parfois au ras des pâquerettes.

Le tout n’est-il pas de les faire fructifier, chacun à  notre mesure ?

On disait… Et tout devient possible.

Yvette Vanescotte

Image: pixabay

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