Quelques questions à Salvatore Manfroid

Quand-vous êtes-vous sentis appelés à devenir pasteur ? Y a-t-il un événement en particulier qui vous a mis sur cette voie ?

Je me suis senti appelé à devenir pasteur au fil d’un cheminement personnel et spirituel progressif. Après quelques années d’engagement actif dans une paroisse, j’ai ressenti la nécessité de me former sérieusement en théologie. Suite à l’obtention d’un master en études bibliques et deux années de doctorat en Ancien Testament à la faculté de théologie de l’UCLouvain, j’ai pris le temps de faire le bilan sur mon parcours, et une conviction s’est imposée : j’avais besoin de transmettre ce que j’avais reçu et approfondi. Ce qui m’a appelé à devenir pasteur, ce n’est pas un événement spectaculaire, mais d’abord un appel intérieur, une conviction intime que Dieu me poussait à me rendre disponible au service de l’Église et de l’Évangile. Cet appel s’est formé dans le silence de la prière, dans l’écoute de la Parole, dans la joie de transmettre et dans la compassion face à ce que vivent les autres.

Mais je suis conscient que cet appel personnel n’est pas suffisant en lui-même. Il a été confirmé par un discernement communautaire, dans lequel l’Église a reconnu certains dons, une maturité croissante, une disponibilité, et une volonté de servir. À la suite, j’ai envoyé ma candidature à la Commission de recrutement et j’ai effectué un master à finalité pastorale à la FUTP (Faculté où j’enseigne l’hébreu biblique depuis 2022), parallèlement j’ai effectué une suffragance à Pâturages et un proposanat à Marcinelle et à Uccle. Être pasteur, ce n’est pas une position à obtenir, mais une reconnaissance mutuelle entre une personne et une communauté, portée dans la lumière de l’Esprit. Un moment fort de confirmation s’est présenté lors de ma première partie de proposanat. Ce jour-là, pendant un entretien de préparation pour des funérailles. Face à une famille endeuillée cherchant réconfort et soutien, j’ai compris que j’étais là où Dieu voulait que je sois. Voir cette détresse, offrir une parole d’espérance, être un soutien : ce fut un signe clair que ma place était au service des autres dans leur douleur comme dans leur joie. Ce qui m’appelle aussi, c’est le besoin du monde. Je perçois l’appel pastoral comme une réponse à une société en quête de sens, à une Église qui cherche des pasteurs fidèles, à une génération qui a soif de repères vrais. C’est là que l’appel devient mission : être serviteur de la Parole, veilleur dans la nuit, artisan de communion et témoin d’une espérance qui ne déçoit pas. Au fond, j’ai toujours ressenti cette vocation en moi, mais je la repoussais en pensant que le moment n’était pas encore venu. Je me disais : « Je suis trop jeune, pas avant mes 40 ans. » Et me voici, ironiquement, précisément dans ma quarantième année, consacré au ministère pastoral.

 

Qui dîtes vous que Jésus est ? Comment l’avez-vous rencontré ?

Jésus-Christ est, pour moi, le Fils de Dieu, pleinement homme et pleinement Dieu, venu révéler le cœur du Père et accomplir l’œuvre du salut pour l’humanité. Il est le Verbe incarné (Jean 1.14), le médiateur entre Dieu et les hommes (1 Timothée 2.5), celui en qui se rejoignent la vérité divine et la condition humaine. Il est à la fois le Seigneur ressuscité, le Maître qui enseigne avec autorité, et le compagnon fidèle qui chemine aux côtés de celles et ceux qu’il appelle.  Jésus est le fondement de ma foi, mais aussi le fondement de ma théologie. Ma démarche théologique n’est pas seulement intellectuelle ni abstraite : elle est existentielle. Je n’ai commencé à faire de la théologie qu’à partir du moment où je me suis converti. Ma mère me parlait de Jésus depuis mon enfance, semant en moi les premières graines d’une foi en devenir. Pourtant, c’est bien plus tard que cette figure familière est devenue une personne vivante pour moi. J’ai dû vivre ce que je qualifierais de « chemin de Damas » personnel, marqué par une crise existentielle et une quête profonde de sens.  Ce cheminement a été jalonné de moments de silence, de prière, de brisements, de dialogue avec des croyants, mais aussi d’un travail intérieur exigeant. Ce n’est pas une seule expérience isolée qui m’a conduit à lui, mais une révélation progressive et incarnée. Depuis, c’est dans l’étude de la Parole, le service de l’Église et la vie communautaire que cette rencontre se renouvelle et s’approfondit. Jésus n’est pas seulement l’objet de ma foi : il est le sujet vivant qui oriente, inspire et soutient toute ma vocation.

 

Et votre paroisse (si vous en avez déjà une) qui dites-vous qu’elle est ? Comment la rencontre et le cheminement se sont-ils passés ?

J’ai été élu pasteur de l’Église Protestante Unie de Belgique de La Louvière, une paroisse située dans la région du Centre en Wallonie. Il s’agit d’une communauté que je connais bien, puisque mon épouse et moi en avons été membres il y a quelques années. C’est une petite Église qui a traversé diverses saisons : des temps de dynamisme mais aussi des périodes plus difficiles. Pourtant, ce qui m’a toujours frappé, c’est sa fidélité à l’Évangile et sa capacité à tenir bon malgré les vents contraires. Cette paroisse porte en elle une force discrète mais réelle, celle de femmes et d’hommes qui ont su rester enracinés dans la foi et solidaires dans l’épreuve. Elle s’est toujours battue pour exister, pour garder vivante une présence protestante dans la ville, et pour témoigner humblement mais fidèlement de l’amour du Christ. Aujourd’hui, je crois avec les membres de cette Église que nous entrons dans une nouvelle étape. Nous espérons ensemble des temps de renouveau, de joie partagée et de croissance spirituelle. Cette paroisse, je la vois comme une communauté résiliente, accueillante, ouverte aux défis de son temps et prête à écrire, avec l’aide de Dieu, une nouvelle page de son histoire.

 

Faîtes-vous un lien entre votre vie familiale et votre vie pastorale ? Est-ce facile de combiner les deux ?

Oui, je fais clairement un lien entre ma vie de famille et ma vie pastorale. Être pasteur n’est pas un simple métier ou une fonction institutionnelle : c’est une vocation qui engage toute la personne, y compris dans sa dimension familiale. Cette voie ne s’est pas décidée de manière isolée, mais en discernement et en dialogue avec mon épouse. Nous sommes en accord profond sur ce que représente le ministère pastoral, y compris les exigences et les sacrifices qu’il peut parfois impliquer. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons réussi à maintenir un bon équilibre entre vie familiale et engagement ecclésial. Cela suppose une vigilance constante : savoir poser des limites, préserver des temps de qualité en famille, et aussi accepter que certaines périodes soient plus intenses que d’autres. Mon épouse et moi partageons une vision commune du ministère comme un service, mais aussi comme un lieu d’unité pour notre couple : nous voulons que ce que je vis comme pasteur reste cohérent avec ce que nous vivons à la maison. Cela implique aussi de vivre ce ministère avec authenticité : ne pas être deux personnes différentes entre la maison et l’Église. C’est dans cette unité de vie que je trouve paix et stabilité. Je veille à ne pas importer le rôle pastoral dans l’espace familial : je ne suis pas le pasteur de mon épouse, mais son mari ; je ne suis pas le pasteur de mon fils, mais son père. Ce discernement est essentiel pour préserver la qualité de la relation, la tendresse, et la juste proximité. Le soutien de ma famille est pour moi une force précieuse, et je crois que ma vie familiale nourrit en profondeur ma compréhension de l’Évangile : elle m’enseigne la patience, l’écoute, la fidélité discrète, et le soin authentique des relations humaines.

 

Comment vous sentez-vous à l’approche de la consécration ?

À l’approche de la consécration, je me sens à la fois reconnaissant, humble et pleinement conscient du pas que je m’apprête à franchir. C’est un moment solennel, porteur de sens, qui vient sceller publiquement une vocation longuement mûrie. Je ressens de la gratitude envers Dieu qui m’a conduit jusque-là malgré mes fragilités, envers les personnes qui ont cru en moi, et envers l’Église qui m’accueille comme serviteur du Christ. Je ressens aussi une forme d’émerveillement car le sentiment que ce que je vis dépasse ce que j’aurais pu imaginer au départ, lorsque j’ai commencé à chercher un sens à ma vie, il y a plusieurs années. Mais je vis aussi cette étape avec sérieux et responsabilité. La consécration n’est pas une arrivée, mais un envoi. Ce n’est pas une consécration à soi-même, mais au service du Royaume. Mais surtout, je suis dans la joie ! Celle d’un homme qui sait qu’il ne marche pas seul, mais entouré d’une communauté, porté par la prière des frères et sœurs, et guidé par la fidélité du Christ.

 

Comment voyez-vous votre poste de pasteur ? Avez-vous aujourd’hui des souhaits particuliers pour votre avenir pastoral, des projets à partager ?

Je le conçois avant tout comme un ministère de présence, d’écoute et de fidélité. Étymologiquement, un pasteur est un berger. Dans le contexte chrétien, cette image est reprise pour désigner celui qui guide, protège et prend soin de la communauté des croyants, comme un berger s’occupe de ses brebis. C’est pour moi un appel à accompagner une communauté dans toutes les saisons de la vie : la joie comme l’épreuve, la croissance comme les temps de silence. Être pasteur, c’est être là, de manière incarnée, pour rappeler que Dieu est à l’œuvre au milieu de son peuple. C’est aussi être gardien de la Parole, veilleur dans la prière, et artisan de communion. Mais au-delà du mot « pasteur », je me reconnais aussi dans celui de « passeur ». Un passeur n’attire pas à lui, mais oriente vers une Parole plus grande que lui. Il ne construit pas pour lui-même, mais aide les autres à traverser, à cheminer, à grandir. Je me sens appelé à être un passeur de sens, un passeur de l’Évangile, un passeur entre générations, entre foi et culture, entre tradition et créativité. Je crois que le ministère pastoral aujourd’hui demande de la souplesse, de la profondeur et du discernement. Il ne s’agit pas seulement de faire « fonctionner » une paroisse, mais d’aider à cultiver une vie spirituelle authentique et de faire de l’Église un espace d’hospitalité, de formation et d’envoi. Pour les années à venir, je porte le souhait d’une Église humble, mais vivante, enracinée dans l’Évangile, capable de dialoguer avec le monde sans perdre son identité. J’aimerais développer des espaces de formation biblique accessibles à tous, favoriser la parole des laïcs et encourager une vie communautaire intergénérationnelle. Un projet qui me tient particulièrement à cœur est celui d’approfondir le lien entre foi et raison : aider chacun à comprendre la Bible avec rigueur mais aussi à l’habiter avec le cœur. Dans ce sens, je réfléchis à des outils de vulgarisation biblique et théologique, notamment à travers l’enseignement, les supports numériques, ou même l’écriture. Finalement, mon projet n’a rien de neuf. Il s’inscrit dans une œuvre bien plus grande que moi, une histoire qui a commencé il y a plus de deux mille ans, au sommet du mont Golgotha. À l’instar de toutes celles et ceux qui m’ont précédé, je m’efforcerai avec humilité et détermination à garder cette mission essentielle : celle de la transmission.

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