S. Gambarotto : L’image de Dieu, une vocation et une responsabilité

Article paru en janvier 2014 republié dans le Mosaïque de décembre 2016.

Nous connaissons tous le premier chapitre du livre de la Genèse qui présente le récit « sacerdotal » de la création du monde et de l’humain. Ce récit des origines est plus récent que celui de Genèse 2/4b-3/24 dans la mesure où il date de la captivité babylonienne (587-538 av. J.-C.). Dans le contexte d’un exil qui met à rude épreuve la foi des Israélites déportés, il s’agit de réaffi rmer que le Dieu d’Israël n’a pas abandonné son peuple et qu’il se tient audessus des divinités de Babylone, qu’il est le Dieu créateur de toutes choses. Nous ne sommes pas en présence d’un texte à tonalité scientifi que, mais d’un récit qui veut témoigner de la puissance de Dieu et de sa souveraine bonté pour une création avec laquelle il entre en relation pour instaurer une alliance et un partenariat bénéfi ques pour tous. Au verset 26, voici que Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ». En hébreu, deux mots distincts sont utilisés pour évoquer le rapport entre Dieu (Elohîm) et l’humain (adam) : « image » et « ressemblance » 1 . Le premier terme désigne une image plastique, concrète, comme une sculpture, une statue ou un portrait, ce qui est interdit dans la loi hébraïque (Dt 4/15-19). Le second terme est plus abstrait et signifi e « être comme, ressembler » : il désigne la ressemblance entre deux réalités comparables par leur aspect. Le premier terme plus matériel serait en quelque sorte atténué par le second qui ouvre sur une réalité plus symbolique. Une chose attire l’attention du lecteur dans ce récit : le mot « ressemblance » n’est plus utilisé au verset 27, et c’est le mot « image » qui revient deux fois. Par ailleurs, la création de l’humain n’est pas suivie comme celle des autres éléments du refrain : « Dieu vit que cela était bon ». Pourquoi ? Cela pourrait-il signifi er que l’être humain reste inachevé dans sa ressemblance avec Dieu ? Ou bien que la part d’animalité de l’humain (« mâle et femelle, il les créa ») constitue un frein, une diffi culté pour que se réalise complètement la ressemblance avec Dieu ? Cela pourrait induire un processus d’humanisation de l’humain appelé à se différencier du monde animal par la « domination », la maîtrise progressive de l’environnement naturel et l’accès à la dimension culturelle. Notons qu’une telle approche est tout à fait compatible avec l’idée généralement admise aujourd’hui d’une évolution du vivant et de l’homme. Or voici justement que Dieu bénit l’humain et lui adresse une parole en forme de mission : « Soyez féconds et proli- fi ques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, et toute bête qui remue sur la terre ! » (verset 28). En les invitant à procréer et à « dominer » la terre qu’ils vont occuper, Dieu appelle les humains à mettre en œuvre des capacités assimilables à son pouvoir créateur et qui refl ètent son image (intelligence, volonté, créativité, capacité à distinguer le bien du mal…). Comme le souligne A. Wénin, l’image de Dieu est alors une « vocation » qui peut se réaliser par une responsabilité, une double maîtrise tournée vers l’extérieur (sur les autres espèces vivantes) et vers l’intérieur dès lors que l’homme est appelé à contrôler ses propres instincts (son agressivité animale et la violence qui va avec), ne seraitce que pour fonder une famille et vivre avec les autres membres du groupe. On peut souligner ici que la « soumission » des êtres vivants ne saurait signifi er leur écrasement par un traitement brutal et dégradant car Dieu n’invite pas l’humain à devenir un prédateur sanglant qui traite le vivant comme une chose. La création est bonne et l’humain est appelé à être son intendant, son gardien et son protecteur pour assurer le développement harmonieux de la vie. Il y a ainsi « toute une éthique, c’est-à-dire un comportement vis à vis des animaux qui ressort de ce texte. Les animaux sont comme un appel vers l’homme à devenir plus homme, plus humain »2 . Et nous pourrions ajouter, à être davantage à la ressemblance de Dieu qui aime et soutient l’ensemble de sa création. Il y a un autre point, en Genèse 1, où le mode opératoire de Dieu a des conséquences directes sur la conception de l’humain et son identité. En effet, c’est par la parole que l’action créatrice de Dieu se déploie et médiatise la puissance divine pour faire advenir un monde différencié de son Créateur. Par sa Parole, Dieu appelle toutes choses à l’existence, les fait naître et leur assigne une fonction, précisant même à tout vivant ce que sera la nourriture lui permettant de subsister et d’accomplir sa mission sur terre (fruits et végétaux, ce qui semble exclure la mise à mort des autres espèces vivantes pour les manger). Il s’agit là d’une parole « performative », pour reprendre un terme utilisé par les linguistes, lorsque dire c’est faire, c’est accomplir ce qui est énoncé (c’est le propre de Dieu, mais pas exclusivement). Or, il est clair que l’une des marques d’identité de l’humain, ce qui le distingue de l’animal, c’est le langage articulé, la parole. De même que Dieu communique avec ses créatures et entre en dialogue avec l’être humain (voir Genèse 2 et 3), ce dernier créé « à l’image de Dieu » devient à son tour un sujet parlant capable de s’adresser à un autre et d’entrer en relation avec lui. Cela concerne aussi le ou la partenaire de sexe différent car la sexualité, par exemple, fait partie de l’image divine dont l’humanité est porteuse. La sexualité humaine est alors le vecteur d’une reconnaissance mutuelle dans le couple où les deux partenaires sont dans une relation sinon d’égalité (il faudra beaucoup de temps pour y parvenir), mais de complémentarité affective et solidaire. A cet égard, si l’histoire humaine a engendré des divisions, des ségrégations et des inégalités souvent odieuses et intolérables, il ne faut pas en blâmer le texte biblique. Le récit de Genèse 1 pose d’emblée l’unité et l’égalité fondamentale de l’humanité, hommes et femmes, en tant qu’image et ressemblance de Dieu. Ce dernier s’adresse à eux sans introduire une différence de statut entre l’homme et la femme qui sont tous deux bénis de manière inconditionnelle. Ils sont porteurs d’une même vocation, d’une commune responsabilité pour construire un monde pacifi é basé sur le dialogue et le respect d’autrui. « Dieu vit tout ce qu’il avait fait. Voilà, c’était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour » (Gen. 1/31).

Pasteure Sylvie Gambarotto.

 

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