VRAIE UNITE OU UNITE DE FACADE?

Introduction

Nous voulons partager plusieurs réflexions à partir de quelques considérations historiques et l’observation de l’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB). Celle-ci a été décidée lors d’un synode tenu fin 1978 et elle a véritablement vu le jour le 1er janvier 1979. Nous ne pouvons donc pas parler d’un bébé mais bien d’un adulte d’une quarantaine d’années déjà, l’âge qui devrait être celui de la maturité. Permettez-nous de formuler un certain nombre d’observations sur cette quarantaine en posant quelques questions sur l’expression d’Eglise unie.

Quand on demande de décrire l’EPUB, la réponse la plus courante est que c’est une Eglise d’unité dans la diversité. Peut-on parler d’unité vraiment ou n’est-ce là qu’un slogan qui demeure un rêve ? Essayons de  revisiter l’histoire de cette Eglise afin de tenter de comprendre cette notion d’unité.

Le premier synode

La naissance du Royaume de Belgique qui date de 1830 a favorisé la création de l’Union des Eglises Protestantes Evangéliques du Royaume de Belgique (UEPERB). Rappelons que celle-ci était constituée par les  communautés d’Anvers, Bruxelles, Dalhem, Dour, Gand, Huy, Liège, Maria-Horebeke, Mons, Olne, Pâturages, Rongy, Spa, Termonde, Tournai et Verviers-Hodimont. Elles s’étaient rassemblées dans leur premier synode les 22-23 avril 1839. Certaines communautés n’existent plus et d’autres risquent de connaître le même sort si aucune méthode d’évangélisation adéquate n’est trouvée. Ce premier synode entraîne la reconnaissance officielle du protestantisme belge en Belgique par le décret royal du 18 mai 1839.

Evolution

L’UEPERB se transforme en Eglise Evangélique Protestante de Belgique (EEPB) le 19 juin 1957. Les visiteurs de l’Eglise de Bruxelles Musée peuvent d’ailleurs voir, dans la salle des conférences, un panneau  avec cette appellation qui peut étonner dans une Eglise connue sous l’étiquette libérale au sein de l’EPUB. On peut se demander si cette appellation « évangélique » a le même sens que celle des Eglises qui se déclarent évangéliques au sein de l’EPUB. Que peut-on trouver dans cette appellation “évangélique” quand on est de tendance libérale ou évangélique? Est-ce que le débat sur cette appellation évangélique chez les deux tendances ne pourrait pas conduire vers un point commun? Il est souvent frappant de constater que les Evangéliques parfois déçus par les Eglises évangéliques voire pentecôtistes cherchent et trouvent refuge dans les Eglises d’étiquette libérale. Pourquoi ces retrouvailles chez les gens qu’on peut croire opposés ? Il est possible que  la notion d’autorité soit le point commun. Peut-être un sondage d’écoute approfondie pourrait permettre de dégager un point commun à utiliser comme fondation pour l’unité et ainsi se donner une chance pour ouvrir le débat vers la formulation d’une confession de foi de l’EPUB.

La marche vers la fusion

Les Eglises méthodistes belges ont rejoint l’EEPB en 1969. Le protocole de fusion a été signé le 22 juin de cette année lors de la naissance de l’Eglise protestante de Belgique (EPB). Une autre famille protestante qui rejoindra aussi l’EPB émane de la Société biblique britannique et étrangère créée le 07 mars 1804 à Londres avec la mission de traduire et diffuser la Bible à travers le monde. Elle était connue jusque-là sous le nom d’Eglise chrétienne missionnaire belge (ECMB) qui deviendra l’Eglise Réformée de Belgique (ERB) en 1970. Une remarque qui nous paraît très importante : si l’UEPERB est le rejeton de la Réforme protestante du 16ème siècle, l’ECMB est la marque du courant de Réveil. Cette différence est très importante pour comprendre la difficulté qui bloque le rêve de l’unité de l’EPUB. L’unité dans la diversité demeure un slogan parce que l’on n’a peut-être pas bien pris le temps d’étudier les points pouvant rassembler et unir.

Quelle est la différence entre les communautés marquées par le courant du Réveil et celles qui revendiquent l’héritage de la Réforme protestante du 16ème siècle ? Deux éléments très importants : le salut par  grâce chez ceux  de la Réforme et  l’accent sur la foi personnelle avec le baptême d’adulte uniquement chez les Evangéliques. L’Eglise Réformée de Belgique(ERB) fait partie des Eglises signataires de la fusion de l’EPUB en 1979. Bien que d’émanation du courant du Réveil, l’ERB a connu des changements de tendance théologique en glissant vers une théologie réformée avec l’approche de l’interprétation de la Bible plus rationnelle à cause de l’influence des pasteurs venant des autres pays, notamment de Suisse.

La structure synodale qui s’est imposée de 1979  à aujourd’hui est celle de l’ERB. Cette structure (presbytéro-synodale) demeure un lourd fardeau pour les Eglises de tendance congrégationalistes au sein de l’EPUB. Les districts qui éprouvent d’énormes difficultés pour le quorum de droit de siéger valablement dans les Assemblées abritent beaucoup de ces communautés de tendances congrégationalistes qui n’arrivent pas à sortir de  cette identité individualiste. On peut se demander si le rêve d’unité n’a pas été précipité comme les fiancés qui ne se donnent pas le temps de se connaître.

Blocage de l’unité.

Qui fait le deuil de quelque chose dans un  cas de fusion? Qui perd et qui gagne? Peut-on s’imaginer  la réalité de gagnant-gagnant dans un cas de fusion des Eglises de tendances théologiques différentes? Est-ce qu’une tendance peut se laisser avaler par une autre sans que cela laisse des traces négatives ? Qui renonce à quoi et comment? La réponse à ces questions pourrait permettre d’atteindre le rêve de l’unité et redresser l’appareil EPUB.

Une autre question très difficile à résoudre pour atteindre le rêve d’unité est celle des questions éthiques. Le protestantisme a toujours difficile de se prononcer en matière éthique. Il agit souvent comme un caméléon en voulant se montrer progressiste dans la société. Ceci peut expliquer le pourquoi de l’absence des représentants des protestants dans des débats publics sur les plateaux de télévisions. Le protestantisme belge n’ose jamais se montrer. Cette attitude de vivre caché limite le champ de visibilité des protestants belges qui préfèrent vivre dans l’ombre afin de maintenir le semblant d’unité.

Tout observateur de l’EPUB constate qu’il y a une fracture entre les communautés qui la constituent. Les uns accusent les autres de fondamentalisme, de manque de loyauté et d’ouverture et les autres de libéralisme infidèle aux Ecritures. Un grand fossé s’est creusé entre les deux tendances. La Bible est devenue une pomme de discorde. On s’affronte sans que personne ne  prenne la responsabilité de consommer le divorce. L’EPUB tient à un fil et vit dans des murmures suivant que l’on est avec les uns ou avec les autres. Où est l’unité dont on parle et qui pourrait permettre d’accoucher d’une confession de foi dans une Eglise qui doit trouver sa place dans la société du 21ème siècle ?

La question de l’homosexualité, débattue depuis les années 1980 au moins, a élargi le fossé mais de nouveau sans que personne ne prenne la responsabilité de consommer le divorce. On aurait pensé au divorce après la décision du synode du 13 juin 2016 sur l’homosexualité mais la maison EPUB continue à abriter les défenseurs de la décision synodale et ses détracteurs. Osons avouer quand même quelque chose : on peut dire qu’une nouvelle Eglise est née au sein de l’EPUB sans que les deux parties opposées s’inquiètent. C’est peut-être la gestion de l’Eglise à la belge dont on vante souvent l’art du compromis… Les uns attendent que cette réaction opposée à la décision du synode finisse par disparaître de sa belle mort et d’autres espèrent réformer l’EPUB dont ils pensent qu’elle est en danger de disparition parce qu’elle s’écarte des Ecritures. Qui a raison et qui a tort ? Seul l’avenir répondra à cette question mais cela met sur la table la question de l’unité qui demeure un slogan et un rêve pour  certains.

Une autre preuve de l’unité slogan se voit dans certains districts où l’on a des pasteurs qui n’arrivent pas à se réunir en pastorale commune. Les deux groupes s’accusent mutuellement, les uns de manque de loyauté à l’EPUB et les autres d’infidélité à l’Ecriture. Qui peut résoudre ce problème? La réalité montre que la bonne réponse “est personne”.

Les cordes de non divorce

Difficile de savoir avec précisions ce qui fait que certains  membres de la maison EPUB se détestent mais sans que personne ose  consommer le divorce. Nous pensons à deux  poutres qui tiennent la maison malgré tout : Le financement de l’EPUB par les pouvoirs publics et la liberté. Le fait que l’EPUB a longtemps monopolisé le financement des pouvoirs publics jusqu’à la création du synode fédéral en 2003 peut être l’une des explications importantes de ne jamais oser consommer le divorce. On préfère murmurer au lieu de partir à cause des finances. Une communauté qui oserait le divorce s’exposerait aux difficultés financières majeures pour ne pas dire insurmontables.

Autre élément pouvant expliquer  le pas à ne pas franchir pour prendre  la décision de divorce est que chaque paroisse se dit libre de faire ce qu’elle veut, comme elle veut et quand elle le veut allant même jusqu’à ne pas suivre les décisions de l’Assemblée synodale et tourner en ridicule le Conseil synodal sans risquer aucune sanction. On pourrait même aller jusqu’à dire que certains consistoires pensent avoir plus d’autorité que les autres organes constitués de l’EPUB. Celui ou celle qui partirait ne trouverait nulle part ailleurs une telle forme de liberté à outrance. Le vocable diversité amène certains à penser que tout est permis et que personne ne doit et ne peut déranger ceux qui violent les décisions synodales. Il ne serait d’ailleurs pas faux de penser que la diversité triomphe sur l’unité car celle-ci n’existe pas en réalité. Un autre article pourrait être consacré à ce qu’on appelle diversité qui est aussi difficile à saisir.

Conclusion

Peut-on oser s’attaquer à cette question d’unité sans mettre à mal la maison EPUB ? Qui des deux groupes finira par s’imposer à l’autre ou par claquer la porte ? Jusqu’à présent la ligne des tenants de l’ouverture est parvenue à faire passer les décisions inacceptables pour ceux de l’autre camp parce que ces derniers ne savent pas que les décisions se prennent dans les Assemblées de districts ou synodales et non dans les bruits de contestations. On peut penser que l’autre tendance pourra un jour pendre le dessus pour deux raisons au moins : les défenseurs de la fidélité aux Ecritures augmentent en nombre de fidèles pendant que les autres stagnent ou connaissent une baisse importante. Une autre raison serait la prise de conscience que les décisions sont prises dans les Assemblées de districts et synodales. La décision du 13 juin 2016 a été retardée pendant longtemps par les opposants qui connaissaient les astuces du fonctionnement du régime d’Eglise synodale.

Le rêve de l’unité n’est pas à enterrer, il ne doit pas non plus se limiter à faire semblant du vivre ensemble mais il doit être abordé fraternellement dans un esprit de loyauté à l’Evangile et d’engagement moral adultes. Il faudra  que les uns et les autres osent se poser la question sur ce que signifie “Eglise unie“. Il serait malheureux de consommer le divorce pour des problèmes matériels et financiers extérieurs même si, entre nous, nous ne croyons pas à cette possibilité. Nous pensons que le divorce ne viendra pas mais que le compromis à la belge pourra continuer à être la poutre qui tient la maison EPUB jusqu’à ce que la tendance des accusés de manque d’ouverture prenne le dessus. Il serait malheureux de ne pas pouvoir arriver à une réelle unité qui permettrait enfin d’adopter une seule et même confession de foi de l’Eglise digne du Christ dans la société du 21ème siècle.

Pasteur Léonard Rwanyindo

 

 

 

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