De la contribution des « personnes âgées » à la catéchèse intergénérationnelle

Cette note présente l’esquisse d’un projet alternatif à la traditionnelle catéchèse dans l’Église. Il s’agit de la catéchèse intergénérationnelle familiale animée par des « personnes âgées ». Comment envisager les communautés ecclésiales vieillissantes comme une ressource dans la construction des identités religieuses des enfants et la transmission des croyances et pratiques d’une génération à l’autre ?

La transformation et la complexification du rapport au religieux dans la société occidentale, par le fait de la laïcisation, de la montée de la sécularisation, du relativisme et l’individualisme post-modernes laissent apparaître une diversité d’expressions du régime du croire. À côté de la figure traditionnelle du « croyant pratiquant », on distingue les qualifications telles que « croyants non pratiquants » ou « distancés » de la paroisse (Moser 1993), ainsi que « pèlerin » et « converti » dans la conception de la sociologue Danièle Hervieu-Leger5. Cette pluralité de modèles représentatifs d’une religion en mouvement montre que croyance, appartenance à une communauté confessionnelle et pratique ne vont pas forcément ensemble et joue de ce fait un rôle non négligeable sur la baisse de la participation des personnes aux cultes. La régression de l’engagement religieux des individus et de la régularité aux cultes, exacerbée depuis la pandémie de Covid-19, et parfois motivée par des conditions socio-économique et familiale difficiles (emplois contraignants, séparation des couples ou divorce), affectent ainsi la présence des enfants aux activités ecclésiales. Pas de parents à l’Église, pas ou peu d’enfants à la catéchèse !

La pastorale catéchétique, au service de la structuration des identités individuelles et collectives des enfants et des jeunes fait face à une crise dans la transmission et la construction des valeurs, des pratiques et des normes religieuses. Crise qui remet en question les processus de continuité des traditions confessionnelles et affectent les trois piliers de la socialisation religieuse que sont la famille, la communauté et l’institution religieuse. La diminution des niveaux de pratiques et de croyances dans la population occidentale s’expliquerait aussi d’un point de vue générationnel, les jeunes générations étant moins religieuses que les « personnes âgées » (Bréchon 2018 : 11) qui constitueraient peut-être même les plus actifs des chrétiens dans le contexte belge des églises de type traditionnel (Derroitte 2019 : 337).
Il convient d’apporter un bref éclairage sur cette expression « personnes âgées ». Polysémique et dynamique, elle est surtout associée aux représentations et aux images symboliques qu’une société se fait de la vieillesse. Pour traduire le vieillissement progressif de la population durant le 20ème siècle, on a vu naître les notions de « 3ème âge », de « 4ème âge », de « 5ème âge », d’« aîné », de « jeune-vieux », de « vieux-vieux » ou encore de « senior » (Sanglier 2012 : 1). Ces profils rendent compte que « les personnes âgées » ne constituent pas un ensemble homogène et que la vieillesse s’expérimente de multiples façons. En revanche, si on se focalise principalement sur une catégorisation par âge, et dans une optique sociologique, les « personnes âgées » appartiendraient à deux classes : le troisième âge qui comprend les personnes âgées de 65 à 74 ans, et le quatrième âge regroupant celles se trouvant au-dessus. D’après les projections des Nations Unies, la part de citoyens belges de plus de 65 ans dans la population totale passera de 18 % en 2018 à près de 26 % en 2040 (Colmant 2018). Le Bureau fédéral du Plan en collaboration avec Statbel relève que la Belgique compte 1 personne de 67 ans et plus pour 3,8 personnes âgées entre 18 et 66 ans.

En 2070, ce rapport sera de 1 pour 2,5 (BFP & Statbel 2019). Ces statistiques donnent le ton sur la transition que connaîtra l’Église.

Dans l’Église protestante unie de Belgique, plusieurs pasteur.e.s s’accordent déjà pour dire que les « personnes âgées » représentent une part essentielle et régulière du public paroissial. L’attribut qui s’impose pour qualifier ou disqualifier ces communautés surtout lorsque la présence des enfants et des jeunes s’amoindrit est « vieillissant ». Ce terme sous-entendrait-il la présence des « personnes âgées » comme un danger ? La question mérite une réflexion mûrie pour tenter un rééquilibrage dans les perceptions ou les représentations qui s’imposent. En effet, l’image stéréotypée de ministres de culte et de fidèles du « 3ème âge » et du « 4ème âge » en décrépitude, « attendant la fin sur le banc de touche », en proie à la difficulté de passer le relais pour la pérennisation de la croyance et de la pratique chrétienne, gagne du terrain. Ce paradigme crée une forme de violence symbolique qui peut toucher les « personnes âgées », s’inscrire en elles, et les conduire à légitimer des systèmes de pensée et des normes sociales à connotation péjorative. Il devient alors nécessaire de résister à ce type de disqualification sociale, de changer les regards, d’inverser les stigmates, de réfléchir à une théologie positive du vieillissement qui peut être le lieu de contournement des crédos réducteurs et surtout l’espace de valorisation de personnes qui ont encore, selon leur liberté propre et leurs possibilités physiques et mentales, beaucoup à offrir à la société et à l’Église.

Cette approche est complémentaire aux stratégies locales mises en place pour favoriser le renouvellement de membres jeunes. Savoir ce que l’on veut entreprendre avec « les personnes âgées » dépend du regard « neuf » que l’on pose sur cette catégorie de population (Collaud 2019 : 262). La traduction de ce changement ne vaut que si elle est réinventée en amont par les institutions religieuses de manière à valoriser et non plus seulement à tolérer la place des « personnes âgées » dans une communauté où toutes et tous sont membres les uns des autres (Rm 12, 5-6). Le 31 janvier 2021, le Pape François annonçait l’institution d’une Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées justement dans la perspective de considérer leurs missions et contributions comme une chance et un don.

Nombreuses et nombreux sont les bénévoles de plus de 65 ans impliqués dans la vie paroissiale au sein de l’EPUB. Le sont-ils par résignation à cause du manque de ressources humaines et spirituelles plus jeunes ? Ou parce qu’ils se savent utiles, « plantés dans la maison du Seigneur », toujours « pleins de sève et verdoyants », capables de porter des fruits dans la vieillesse (Psaume 92,15) ? Ou le sont-ils parce qu’une place sans équivoque leur est attribuée, place qu’ils peuvent occuper ou non selon leur liberté de décision ou d’action ?

L’un des ministères spécialisés par lequel leur expérience chrétienne, leur parcours de vie et leur mémoire « historique » pourraient être bénéfiques pour l’Église est la catéchèse intergénérationnelle en et hors contexte paroissial. Elle se veut un espace d’échange mutuel, de réflexion et non d’endoctrinement sur des thématiques de vie qui traversent les générations et peut jouer un rôle essentiel dans l’adaptation de l’Église et de la société face au vieillissement de la population. La pérennisation de la tradition protestante en réformation, qui ne peut être limitée à la structure ecclésiale (déjà difficile du fait de la non régularité des parents et des enfants), pourrait être pensée, assumée et organisée de manière à garantir une connexion tangible entre les communautés religieuses et les différentes expressions du régime du croire évoquées plus haut et qui se déploient toutes au sein des structures familiales. Pour cela, il convient de sortir des quatre murs de l’église et d’ « occuper » sans contrainte l’espace familial, autre pilier de la socialisation religieuse. Ce mouvement permettrait de contribuer à la construction d’une Église « dispersée dans le monde», dynamique, non réductible à un nombre ou à une liturgie. Les enfants destinataires du projet, en constitueraient la passerelle et les « personnes âgées » souvent grands-parents et/ou arrière-grands-parents, les acteurs de transmission notamment dans le cas où les parents pour autant qu’ils aient donné leur autorisation, n’assureraient plus ou pas les processus conscients de transmission de croyances, de pratiques, des traditions ou des valeurs chrétiennes. Transmissions qui ne s’opèreraient dans de meilleures conditions que si les personnes âgées s’approchent de leurs petits ou arrière-petits-enfants sans envahir le noyau de la cellule familiale et sans outrepasser l’autorité des parents (Derroitte 2019 : 341).

Concrètement, les (arrière-) grands-parents en tant que « pôles fédérateurs » réunissent la famille large (Ibid.). Les moments de babysitting, de visites chez les parents d’enfants, de congés chez les grands-parents sont entre autres d’excellentes occasions d’entretenir des liens intergénérationnels autour des textes bibliques, de la prière (prier avec et pour les enfants et leurs parents), des chants. Il faut faire preuve de créativité, de connaissances bibliques et pédagogiques, pour contribuer à l’éveil spirituel des enfants (au moins jusqu’à l’adolescence) et leur transmettre l’espérance de la vie et de la foi d’une manière moins conventionnelle, avec mutualité et possibilités d’une transformation réciproque. Les « personnes âgées » devraient trouver un équilibre entre la remémoration historique de leurs souvenirs (c’est une partie de la transmission de l’héritage protestant, d’anecdotes du passé, de leur enfance au catéchisme, des communautés autrefois… pour donner le sens de la longitudinalité, des générations dans lesquelles chacun s’inscrit à son tour), et la « fabrication » des futurs souvenirs. De sorte que leurs (arrière) petits-enfants se diront « voilà ce que papy ou mamie nous racontaient…. ». La deuxième catégorie de souvenirs devrait prendre plus d’importance que la première, laquelle est néanmoins nécessaire. Au lieu de culpabiliser de n’avoir pu ou su transmettre le flambeau de la foi à leurs enfants ou petits-enfants, les (arrière) grands-parents se découvriraient une nouvelle vocation de témoins, d’intercesseur.es et y entreraient joyeusement.

Est-il utopique de concevoir les personnes âgées comme des « catéchètes » de leurs petits ou arrière-petits-enfants et les accompagner dans cette mission volontaire ? Il s’agira pour l’EPUB de tenter d’inventer et de mettre en oeuvre une catéchèse intergénérationnelle familiale qui soit pertinente compte tenu non seulement de l’hétérogénéité des conditions et modes de vie des « personnes âgées » mais aussi des multiples réalités sociales et ecclésiales actuelles.

 

Christel Zogning Meli (Doctorandus)

 

Image: pixabay

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