Marc Lenders, un parcours de vie

Le pasteur Marc Lenders, l’un des membres fondateurs du Groupe de Travail Eglise dans la Société, est décédé le 21 mars 2024. Lors du service d’action de grâce pour sa vie, à l’église du Botanique à Bruxelles, le 28 mars 2024, la pasteure Laurence Flachon a prononcé le texte suivant.

 

Parcours de vie

Les enfants de Marc Lenders m’ont demandé de dire quelques mots sur le parcours de Marc dans cette vocation particulière qui fut la sienne : construire des liens entre les Églises et l’Europe, penser les conséquences de la foi dans l’agir éthique d’institutions en construction et porteuses -c’était sa conviction- d’un véritable projet de société.

Marc était un homme de dialogue et de recherche, d’une profonde et bienveillante humanité.

Né dans une famille où l’on parlait français, Marc a suivi des cours à Bruxelles à l’école protestante néerlandophone « Reine Juliana » puis à l’athénée R. Catteau. Issu d’un solide milieu réformé – son grand-père paternel fut le premier membre belge de la paroisse hollandaise reformée Gereformeerde Kerk) à Bruxelles -, il fit ses études à l’Université libre d’Amsterdam en 1953-54 puis à la Faculté libre de théologie protestante d’Aix-en-Provence (1954-58).

Après son mariage, Marc effectua son service militaire à Anvers durant la crise de Cuba et devint aumônier militaire. Sa première paroisse fut la Waalse Begijnhofkerk, une petite mais dynamique paroisse wallonne à Haarlem, aux Pays-Bas, où il résida avec son épouse et ses trois enfants.

En 1966 Marc accepta l’appel conjugué de l’Église réformée des Pays-Bas (Nederlandse Hervormde Kerk) et du Groupe Œcuménique de Bruxelles – un groupe de fonctionnaires européens et de pasteurs qui s’était constitué en 1959 –  pour un poste situé à Bruxelles, aux contours assez flous, mais dont les aspects européens et œcuméniques le motivèrent à relever le défi.

Le 25 septembre 1966, il fut installé à l’Église de la rue Belliard comme « collaborateur permanent » du Centre Œcuménique. Il devait à la fois instaurer un dialogue avec les fonctionnaires européens, prêcher de temps en temps à la Katelijne Kerk de Bruxelles et donner six heures de cours à l’école européenne.

Ce fut le début d’une aventure à laquelle il consacra toute sa carrière.

Durant ses premières années de travail, l’un des objectifs essentiels de l’activité du pasteur Lenders fut de convaincre les Églises de l’importance du projet européen en soi et pour elles-mêmes. Il fallait trouver une méthode de travail. Marc n’était pas du genre à se promener dans les couloirs de la Commission Européenne avec un col ecclésiastique en attendant qu’un fonctionnaire s’adresse à lui !

Il tissait des liens avec les fonctionnaires européens en s’appuyant sur ceux qui fréquentaient l’association œcuménique et privilégiait les rencontres informelles, l’organisation de déjeuner-débat, de groupes de réflexion… « La leçon que je tire de cette expérience est qu’un véritable dialogue n’est possible que lorsqu’il y a un espace entre l’homme ou la femme qui vous fait face et son travail ou sa fonction. C’est grâce à cet espace que tout commence. Et ceux qui, comme nous, étions engagés dans le dialogue œcuménique, le savaient bien » déclare-t-il dans le livre que Win Burton lui a consacré[1].

Plus que la « représentation d’Église », Marc a toujours privilégié le contact interpersonnel susceptible de bâtir une relation de confiance et d’engager une réflexion permettant de prendre du recul face à un système européen très hiérarchisé : « Nous n’étions pas des personnes qui représentions des groupes de pressions. Ma préoccupation était d’avancer avec une théologie incarnée où la dimension politique jouerait un vrai rôle. Cette éthique-là n’est pas un supplément mais elle est directement impliquée dans la façon de comprendre le message évangélique »[2].

Cette manière de travailler fut sa marque de fabrique. Sensible à la notion de réconciliation, à une relation équilibrée entre politique et économie, à la qualité et à la transparence de nos démocraties, mais aussi engagé contre une Europe forteresse qui ne se préoccuperait pas des questions de justice entre le Nord et le Sud, Marc disait que sa motivation était nourrie au fond par «  la mission de l’Église qui est de proclamer le Royaume qui vient en plaçant des signes qui traduisent cette espérance. Parce qu’elles ont à témoigner du renouvellement à venir de toutes choses, les Églises doivent rappeler aux responsables du projet européen que leur mandat va bien au-delà de la gestion : il inclut l’exploration des possibles. Or ces possibles doivent faire l’objet d’un débat entre les différentes composantes de la société civile. Parmi elles, les Églises ont à dire une parole qui se rapporte à ces possibles en les mettant dans une perspective éthique. »

Petit à petit ce travail porta ses fruits : Marc avait longtemps travaillé seul au sein de la Commission Œcuménique Européenne pour L’Église et la Société (EECCS) mais à la fin des années 80, les Églises décidèrent de s’intéresser de plus près à ce qui se passait à Bruxelles et l’équipe de l’EECCS fut renforcée. Au début des années 90, Jacques Delors lança son appel à donner une « âme à l’Europe » afin de rendre celle-ci plus proche des citoyens et plus politique que technocratique : Marc – avec son ami de toujours, Helmut von Verschuer – fut l’un des artisans les plus actifs de ce programme.

À partir de 1997, l’EECCS fut progressivement intégrée à la Conférence des Églises européennes (CEC).

Marc prit sa retraite en 1999 en laissant derrière lui l’image d’un homme de dialogue, soucieux de construire des liens entre les Églises, mais aussi entre les chrétiens et les institutions politiques qui les représentent. Européen convaincu, il soutenait qu’une parole publique sur les questions d’éthique – qu’elle soit sociale, politique, économique ou bien encore environnementale- faisait partie intégrante de l’engagement des Églises au service de l’Évangile. Les questions liées à l’écologie et la justice climatique lui tenaient particulièrement à cœur et, très tôt, l’EECCS interpella la Commission sur ce sujet grâce à son travail[3].

Il continua son engagement en faisant partie du groupe « Église dans la société » de l’ÉPUB qui bénéficia non seulement de son expertise, mais aussi de sa présence amicale, de son humour subtil et de son intérêt pour tout type d’actualité qui pouvait nécessiter une parole d’Église, ce qui l’a tenu à l’écoute de ce monde jusqu’à la fin.

Merci Marc. Tu as été pour beaucoup, – et souvent sans le vouloir ou le savoir au regard de ta grande humilité – une remarquable source d’inspiration, de ceux qui contribuent à faire naître des vocations. Tu resteras dans nos mémoires et dans nos cœurs.

 

Laurence Flachon

 

 

[1] Win Burton, The European Vision and the Churches, The legacy of Marc Lenders, Globethics.net CEC No.1, 2015, p. 244.

[2] Interview du 23 juin 2015 par L. Flachon.

[3] Interviews du 20 janvier 1995 et du 23 juin 2015 par L. Flachon.

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