Au Rwanda, l’Institut Protestant des Arts et des Sciences Sociales promu au rang d’université protestante du Rwanda

Introduction

La Coordination Eglise et Monde (CEM) poursuit son travail de servir de pont missionnaire entre l’Eglise presbytérienne au Rwanda (EPR) et l’Eglise protestante unie de Belgique (EPUB). Des liens historiques  ont été tissés et consolidés depuis  1921,  date de la reprise par le protestantisme belge des stations missionnaires abandonnées par la Mission luthérienne allemande à cause de la deuxième guerre mondiale. Cette relance des stations en ruine a été faite dans la foi, en espérance et  avec détermination par la Société belge des Missions qui n’avait pas beaucoup de moyens, ni financiers ni en ressources humaines.

La formation des chrétiens rwandais, des pasteurs et la formation scolaire en général, a été l’une des principales préoccupations de la Mission belge au Rwanda, même si nous pouvons reconnaître qu’elle est restée de niveau modeste pendant longtemps.  Nous allons  parler de son développement historique, en quatre étapes, dans le domaine de la formation des pasteurs :

– Ecole de Théologie de Butare (ETB)

– Faculté de Théologie Protestante de Butare (FTPB)

– Institut Protestant des Arts et Sciences sociales (IPASS)

– Université Protestante du Rwanda (UPR)

Ecole de Théologie de Butare

Dans le souci d’assurer une bonne formation des fidèles et de jouer  le rôle d’Eglise dans la société rwandaise, l’EPR a ouvert une école des évangélistes à Rubengera dans le Nord-Ouest du Rwanda en 1962. Le niveau des évangélistes sera très vite dépassé. La décision de passer à la formation des pasteurs de niveau supérieur n’a pas traîné. On a commencé par envoyer des étudiants dans des écoles de  théologie de Ndoungé au Cameroun et de Ndesha au Congo Kinshasa. Cette formation à l’étranger a posé quelques questions.  Est-il efficace de former ces nouveaux pasteurs  en dehors de  leur contexte socio-culturel?  Une telle formation à l’étranger n’est-elle pas très onéreuse pour la naissante Eglise autonome et la Mission belge qui a fonctionné longtemps avec des moyens modestes? C’est pour répondre à toutes ces questions que l’Ecole de Théologie de Butare (ETB) a été créée en 1970. Elle est née de l’initiative de l’EPR en collaboration avec l’Union des Eglises Baptistes au Rwanda (UEBR). Celle-ci était soutenue, financièrement et en ressources humaines,  par les Eglises baptistes de Danemark. Les deux Eglises seront rejointes ultérieurement par les Anglicans et les Méthodistes qui, à l’époque, envoyaient leurs étudiants respectivement en Ouganda et au Burundi.

L’indépendance du Rwanda intervenue en 1962 a accéléré le niveau de formations des cadres rwandais par la création de l’Université Nationale du Rwanda en 1963 sous la gestion des missionnaires  dominicains  du Québec. Voici ce que Grégoire Kayibanda, le président de la  première République rwandaise déclarait  à l’occasion de l’ouverture :

 “Il fallait une Université Nationale installée dans notre pays, car l’impératif de la formation rapide de cadres nombreux et valables l’exige, car les études supérieures à l’étranger coûtent trop cher à tout point de vue, car une université bien organisée dans un pays doit être pour ce pays ce qu’est l’esprit dans le complexe corporel de l’homme. Nous voulons, par l’institution de Butare, répondre au désir de tout le peuple rwandais. Celui-ci  veut depuis longtemps  déjà que soit organisé sur sa terre un centre d’enseignement supérieur et universitaire, général et technique, qui donne les cadres supérieurs dont il éprouve un immense besoin. La culture que nous  voulons pour notre peuple doit être une culture qui ne soit pas entachée de paternalisme, mais qui soit une  culture authentiquement rwandaise, africaine, internationale, démocratique et  inscrite dans une perspective chrétienne.”[1]

Nous sentons ici le ton nationaliste de ces premiers présidents de l’Afrique d’après la colonisation, connus souvent sous le nom de pères de l’indépendance et décrits comme incorruptibles. Cet esprit d’incorruptibilité et de nationalisme sans concession leur coûtera cher à cause des assoiffés du pouvoir qui organiseront des coups d’Etat dans presque tous les pays sur le continent noir, voire ailleurs dans les anciennes colonies.

Dans ses préoccupations  d’une bonne formation des fidèles en général et de ses pasteurs, l’EPR s’est sentie concernée et bousculée par cette évolution scolaire et par l’émancipation de la société rwandaise. Elle a lancé le projet de formation de ses pasteurs au niveau universitaire. La réflexion d’une Faculté de théologie à Butare a germé. L’EPUB  l’a accompagnée via la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles (FUTPB) et y a envoyé Marius Joosten pour piloter le projet en 1990.

La création de la Faculté de Théologie Protestante de Butare

Il faut rappeler que si l’ETB a pu fonctionner efficacement et atteindre ses objectifs, c’est grâce à  la collaboration étroite avec la FUTPB  qui a envoyé régulièrement des professeurs visiteurs à Butare. Cette collaboration aurait été impossible sans le soutien financier de l’EPUB qui a toujours assuré le paiement des billets d’avion et financé les bourses d’études pour  les candidats de l’EPR.  Le projet de création de formation des pasteurs de niveau universitaire au Rwanda a commencé en 1990. Il faut  souligner le  courage et la détermination  des responsables tant rwandais que belges pour mener à bien une telle initiative parce que le pays était en guerre depuis le 01 octobre 1990. Voici ce que le professeur W. Willems écrit au sujet  de la collaboration entre Butare et Bruxelles :

 “Nous avons une correspondance dans son cheminement vers la reconnaissance de la Faculté à Butare. La réponse du ministre à ce projet sera la demande qu’une institution d’enseignement supérieur sur le continent se porte garant. C’est ainsi que notre faculté de Bruxelles s’est intéressée, puis engagée, dans une  affiliation avec la faculté de Butare.”[2]

L’ouverture officielle de la FTPB aura lieu au début de  l’année académique 1990-1991. Sans le soutien financier de l’EPUB et la filiation de la FTPB à la FUTPB, le projet n’aurait pas pu aboutir parce que le gouvernement rwandais exigeait la garantie d’expérience d’une institution universitaire dans l’accompagnement de cette nouvelle formation  de haut niveau  au cœur de l’Afrique.

La situation de guerre suivie du génocide des Tutsi  en 1994 a failli faire rayer de la carte les instituts de formation au pays des mille collines. Grâce à la solidarité de l’EPR avec ses Eglises partenaires  européennes, une formation spéciale des pasteurs a été mise sur pied par le soutien financier de l’EPUB et par les professeurs envoyés par la Mission suisse romande et les Pays-Bas. Il fallait répondre au besoin urgent des pasteurs parce que les autres avaient été tués ou avaient pris le chemin de l’exil au Congo Kinshasa ou ailleurs suite au génocide. Après la réponse à l’urgence, la FTPB  a été relancée. La suite verra sa transformation en  Institut Protestant  des Arts et des Sciences Sociales (IPASS) à Butare pour consolider la formation théologique et permettre la création des autres facultés à côté de celle de théologie.

 Institut Protestant des Arts et des Sciences Sociales

L’IPASS est l’élargissement  du site universitaire de théologie protestante de Butare. Elle connaîtra son extension sur le site de l’ancienne station missionnaire de Rubengera. De la formation théologique, l’EPR et les autres Eglises protestantes au Rwanda ont décidé d’ouvrir les facultés orientées vers la formation et les préoccupations du secteur socioéconomique au Rwanda. Deux  facultés ont vu le jour :

– Faculté des Etudes de  développement (FED)

– Faculté  de l’Eduction (FED)

Notons que la Faculté de théologie a été élargie en Faculté de Théologie et des  Etudes religieuses. L’article publié par l’IPASS en 2011 parle d’environs six cents étudiants, chiffre qui devrait passer à mille selon les projections. L’objectif de cette formation de niveau universitaire, en touchant les matières non théologiques, visait à  mettre des cadres solides intellectuellement à la disposition des Eglises protestantes dans leur  lutte contre la pauvreté et l’aliénation. Il faut souligner le  miracle qui s’est produit dans ce processus : les Eglises pentecôtistes ont accepté d’envoyer  leurs étudiants à Butare. Nous parlons de miracle parce que les Pentecôtistes s’étaient toujours tenus à l’écart en estimant que la formation dispensée à Butare était de tendance libérale. Toute collaboration avec les autres églises protestantes était impossible à cause des divergences théologiques. Même la collaboration avec les  Anglicans a causé beaucoup de soucis de par leur esprit d’Eglise née du Réveil et du piétisme anglais. L’esprit de souplesse de l’EPR et la volonté de bâtir dans la diversité spirituelle et ecclésiale a fait que la sauce a tenu sans rupture. L’ambition de formation  de niveau supérieur accouchera de l’Université Protestante du Rwanda.

L’Université protestante du Rwanda

L’objectif d’offrir un enseignement protestant de qualité au Rwanda d’après génocide, souvent victime de la multiplication des universités de mauvaise qualité à cause de l’esprit business, a abouti à la transformation de l’IPASS en UPR.  Cette évolution n’est pas qu’un changement de nom, elle témoigne de  l’ambition de rehausser le niveau  des études en différents domaines  afin de répondre aux besoins de la société rwandaise et de barrer la route à l’aliénation de la population par  l’enseignement de nouvelles églises d’esprit sectaire qui poussent comme des champignons  depuis la fin du génocide des Tutsi en 1994. Le site de l’UPR nous présente l’ambition du programme de formation de l’année académique 2017-2018 :

UPR offrira douze programmes au niveau de bacheliers. Tous ces programmes ont été présentés  par le doyen de trois facultés (Faculté de théologie et des études religieuses, de l’éduction, et des études de développement). Inclus l’éducation en planning et management, la psychologie,… la construction de la paix et développement, l’aménagement urbain et la protection des ressources naturelles et environnementales.”[3]

Cette formation universitaire se fait dans un environnement agréable. L’illustration, ci-dessous, d’un des bâtiments académiques  en témoigne.

C’est grâce à la dimension de l’Eglise dans son universalité qu’un tel projet  a pu être réalisé. Les Eglises protestantes allemandes ont  beaucoup contribué au budget de la construction. L’UPR collabore actuellement avec  les autres universités de la région des grands lacs surtout du côté du Kivu (Est de la République démocratique du Congo). Les universités du Kenya et de l’Ouganda participent à l’organisation des colloques sur le site de Butare. Les rapports  parlent  de cette ambition de formation d’envergure internationale :

Pour 2016, des recherches ont été entreprises sur le sujet: Initiatives locales: Réconciliation et reconstruction du Rwanda; En 2017, les recherches ont été poursuivies sur le même sujet. La Direction a organisé également une conférence publique avec des chercheurs externes partageant des connaissances sur les domaines de leur expertise qui sont pertinents pour les activités académiques du l’UPR. L’UPR coopère également avec des universités et des universitaires extérieurs sur des questions d’intérêt national et international. Les études récemment achevées comprennent: “Corruption et changement de normes en Afrique de l’Est”; “Gouvernance informelle et corruption. Transcender agent principal et action publique “, menée conjointement avec l’Université de Makerere (Ouganda), l’Université de Dar-es-Salam (Tanzanie); l’Université de Nairobi (Kenya) et l’Institut de la gouvernance de Bâle; les recherches complétées comprennent également: «Gouvernance de l’Église: Principes de transparence, de responsabilité, de participation, etc.”[4]

 

Les diplômes délivrés par cette institution protestante à Butare sont reconnus par le gouvernement dans la suite des  conventions  dont nous avons parlé ci-dessus.

La cérémonie de remise des diplômes aux 273 lauréats (24 en théologie, 171 en sciences de l’éducation et 78 en développement) du 26 octobre 2017 sur le campus de Butare témoigne que cette formation concerne aussi bien les femmes que les hommes.

Nous ne pouvons pas oublier de citer le rôle de l’Université  Protestante de Yaoundé dans cette collaboration des universités protestantes du Centre-Est africain. L’Université de Genève a joué aussi un grand rôle dans le développent de Butare. Les échanges sont  réguliers et multiformes. Dans une Afrique centrale victime des rivalités tribales et déchirée par des guerres incessantes, la collaboration entre ces différents instituts universitaires peut être source de réconciliation et de retour d’une paix durable. Quand les gens se connaissent et comprennent la culture les uns des autres, il y a plus de chance de dialoguer et de s’entendre en dépassant certaines barrières. Les institutions de formation peuvent être des instruments intellectuels et des sources de réconciliation et de paix parfois  inespérée.

La nécessité d’une formation de niveau universitaire

Une question a été longtemps posée et le reste aujourd’hui par certains,  à savoir si un pays pauvre comme le Rwanda et l’Afrique qui a énormément de soucis socioéconomiques et politiques ont besoin de formation de niveau universitaire. Les hésitations ont marqué des esprits pendant presque toute la période coloniale surtout avec la colonisation belge dans la région des grands lacs. Les trois pays  (le Congo Kinshasa, le Burundi et le Rwanda) gouvernés par la Belgique (le premier depuis 1908 si on ne tient pas compte de l’époque de l’Etat indépendant du Congo et les deux derniers depuis la fin de la première guerre mondiale) n’ont vu la création de la première institution  universitaire qu’en 1954. Jean Stengers  parle du retard dans la formation de niveau universitaire sous le régime colonial belge dans la région des Grands Lacs :

 “Certains, à propos de l’enseignement, n’ont pas hésité à parler d’une véritable faillite de la Belgique. A l’appui de ce constat de faillite reviennent toujours, bien entendu, les seize diplômés universitaires de 1960 : seize, souligne-t-on, pour un pays de treize millions d’habitants, et qui accédait à l’indépendance.[5]

Ce retard concernait aussi le Burundi et le Rwanda. La première université qui a vu le jour en Afrique centrale est celle de l’Eglise catholique créée en 1954 à Léopoldville. Elle sera suivie par celle de l’Etat fondée à Elisabethville en 1956. Ce retard est incroyable et incompréhensible quand on sait que la Belgique a hérité du Congo belge en 1908 après le régime de l’Etat indépendant du Congo reconnu par  les puissances coloniales lors du congrès de Berlin comme propriété privée du roi Léopold II.

On parle souvent des difficultés de bonne gouvernance sur le continent africain en oubliant que le manque d’une bonne formation des cadres et scolaire en général y contribue énormément. L’enseignement de haut niveau n’est pas un luxe mais un passage obligé pour la formation de la société. Les études supérieures et universitaires  ont le devoir et la mission de former  les formateurs des autres formateurs. L’école en général et l’université sont des outils efficaces de vulgarisation et  de partage du savoir aussi bien intellectuel que de conscientisation humaine dans les droits et  devoirs pour le bien-être de tous et de bonne cohabitation dans une tolérance sans faille. L’avenir des anciennes colonies repose sur une bonne formation. C’est  par  une bonne formation que les populations colonisées pourront s’émanciper et exiger, de tous leurs dirigeants, une bonne gouvernance. L’exigence de bonne gouvernance et de rompre définitivement avec la culture de la corruption est la clé pour pouvoir soigner la plaie de la pauvreté et des guerres tribales  qui poussent souvent à l’exil et entraînent la mort des innocents qui n’aspirent qu’à vivre en paix. Le développement socioéconomique de l’Afrique viendra d’elle-même quand l’ignorance et l’analphabétisme auront été rangés aux oubliettes. Ceux qui  pensent que le miracle économique viendra de l’extérieur se trompent  car, si tel était le cas, il serait déjà arrivé depuis le 19ème siècle où on parlait de faire sortir le continent noir du monde des ténèbres vers la civilisation à l’occidentale. La clé qui ouvrira la porte socioéconomique aux peuples colonisés passera par la  serrure de la formation intellectuelle généralisée.

Conclusion

Que personne ne  voie dans ce passage de l’ETB à FTPB, ensuite à IPASS et enfin à l’UPR comme un luxe que les Eglises protestantes au Rwanda s’octroient. C’est une nécessité vitale et un besoin urgent à soutenir. Les efforts de solidarité et de témoignage de l’Eglise dans sa dimension d’universalité déployés par l’EPUB vers l’Afrique centrale sont à apprécier et à encourager dans l’esprit de la devise du réformateur Jean Calvin : Soli Deo gloria.

Pasteur, Rév.  Dr.  Léonard Rwanyindo

[1] Université nationale du Rwanda, Bilan et perspective, 1963/1964, Butare 1984, p.10.

[2] Willems., W., La faculté de théologie de Butare. Une autre version de l’histoire, dans Analecta Bruxellensia, n° 8, p.50.

[3] PIASS PUBLICATION SERIES N° 1.

[4]  Rapports de l’UPR  2017

[5] Stengers, J., Congo. Mythes et réalités, Editions Racine, 2007, p.206.

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