Le message de Luther, toujours d’actualité ? Quel avenir pour les réformés ? Réponses de Steven H. Fuite, président de l’Eglise protestante unie de Belgique.
Par Olivier Rogeau.
Comment les protestants héritiers de Luther se réapproprient-ils son message ?
Nous mettons en avant la responsabilité personnelle, la liberté de conscience, le fait d’accepter la diversité des opinions. Donc, d’être contredits. Notre Eglise est très diverse et ses structures sont démocratiques. Luther nous dit que la vérité n’a pas à être imposée et qu’elle n’est pas immuable. On doit faire nos propres choix. Autrefois, beaucoup d’enfants de pasteurs devenaient cabaretiers. C’est dire si nous avons en nous la culture du débat ! Luther lui-même n’arrêtait pas de se disputer avec ses partisans.
Luther est-il, pour vous, une sorte de ” saint ” ?
C’était un être humain comme les autres, avec ses qualités et ses défauts. Comme l’ont fait avant nous des responsables protestants aux Pays-Bas et en Allemagne, nous avons demandé pardon à la communauté juive pour les textes violemment antijuifs de Luther. Nous ne pouvions laisser passer les festivités du 500e anniversaire de la Réforme sans faire ce geste. Par la suite, j’ai reçu des messages touchants et encourageants de personnalités du monde juif.
Les protestants sont ultraminoritaires en Belgique. Quel impact sur votre identité ?
Dès l’école, nous prenons conscience du fait que nous ne faisons pas partie de la majorité. Car nous ne sommes que quelques-uns dans chaque classe à suivre le cours de religion protestante. Cela forge notre identité.
Les protestants ” historiques ” sont de moins en moins nombreux en Belgique. Qu’allez-vous devenir ?
La sécularisation de la société met notre Eglise sous pression, mais cela n’a jamais été sa mission de s’inquiéter de sa survie. On doit tout faire pour qu’elle reste un lieu d’accueil et d’encouragement, mais il faut aussi accepter que l’Eglise en tant qu’institution n’est pas le but de Dieu.
La pratique dominicale réformée continue-t-elle de chuter ?
Dans quelques grandes villes comme Gand, Liège et même Bruxelles, certaines de nos églises sont pleines. Ailleurs, en zone rurale, c’est plus compliqué. Nous ne sommes pas au terme de notre déclin. Quand j’étais pasteur de l’église protestante de la place du Nouveau Marché aux Grains, à Bruxelles, je constatais déjà que les jeunes ne venaient plus au culte qu’une fois toutes les six ou sept semaines. De petits groupes se réunissent en marge du culte, mais on vient moins souvent écouter la parole du pasteur. Nous évoluons vers ce qu’on appelle une liquid church, une ” Eglise liquide ” : la vie chrétienne est plus basée sur l’activité spirituelle que sur les structures paroissiales et l’office dominical.
Comment réagissez-vous à cette tendance ?
Il faut aller vers les gens, raison pour laquelle nous avons créé, en Wallonie comme en Flandre, la fonction de ” pionnier “. Aux Pays-Bas, ils ont déjà une centaine de pionniers, pour 1 800 pasteurs. En Belgique, nous n’en avons encore que cinq. Leur mission ? Casser le mur qui sépare l’Eglise de la société et aller, sans faire de prosélytisme, là où il n’y a pas ou plus de lieu de culte. C’est une expérience, on verra ce que cela va donner. Il faut toujours aller de l’avant, se dire que la terre promise est devant soi, que le royaume de Dieu est notre avenir. Et il faut éviter de s’isoler. Aujourd’hui, on voit trop de Brexits, de rétrécissements, de replis identitaires, alors qu’il faut vaincre sa peur des autres.