Fin du culte. Malvina M., la nonantaine bien entamée et assumée, entourée d’une volée d’enfants de l’école du dimanche, distribue des bonbons à chacun. Personne ne manquerait pour un empire à ce rituel magique, ni les enfants, ni la grand-maman gâteau. Je voudrais pouvoir vous peindre son visage solaire, ses yeux rieurs, ses rides de bonne humeur.
Mon époux vous décrirait volontiers son cérémonial pour servir le thé, lors des visites pastorales.
Je me rappelle avoir été la visiter dans une petite maison d’une résidence pour séniors de la commune, alors qu’elle approchait les 100 ans. Nous nous sommes tenu la main et elle s’est endormie doucement pendant un petit moment.
J’aurais souhaité qu’elle s’envole à ce moment précis vers le paradis des bonnes fées, pour lui éviter l’horreur d’un état grabataire.
Marie L., verviétoise dans la cinquantaine, venait de perdre sa maman. Mes parents l’ont entourée lors d’un camp des familles à Lustin. Elle m’a offert un bel anneau de serviette en bois décoré, acheté à Dinant. Je devais avoir dans les 12 ans. Je m’en souviens encore. Je vois encore l’anneau.
Le plus beau, c’est que nous nous sommes retrouvées longtemps après, lors du ministère pastoral de Daniel à Verviers. Elle s’est proposée pour garder nos enfants lorsque nous allions aux répétitions de chorale… C’était une femme courageuse !!!!! Garder des enfants de pasteur censés dormir, mais qui coupaient l’appareil de surveillance dès le dos tourné des parents… Ils l’ont avoué longtemps après.
Marie, toujours appelée Mademoiselle L. et toujours vouvoyée (cela ne changeait rien à notre amitié profonde et à notre complicité) est venue en vacances chez nous jusqu’à ses 99 ans (elle en a vécu 103). Je ne vous dis pas les fous-rires, les parties de plaisir ensemble, alors qu’elle avait 40 ans de plus que moi.
Je l’entends encore remarquer, pince-sans-rire, que Madame Vanescote semblait aller bien vite sur l’autoroute reliant Verviers et la campagne brabançonne. Pas encore de limite de vitesse à l’époque ou s’il y en avait, on contrôlait peu !!!!! Elle n’avait pas peur. Et moi non plus !
Je serais allée loin pour la chercher et les 240 km, aller/retour ne me pesaient pas.
J’ai toujours été attirée par les personnes âgées, mais toutes ne sont pas solaires comme mes deux modèles, certaines sont même devenues amères, tyranniques, négatives, parfois même toxiques.
Question de qualité de vie ? De santé ? De bonheurs ou malheurs rencontrés ?
Je ne suis pas certaine, je m’interroge.
Je sais que Marie a eu une vie très dure, d’ouvrière en usine lainière au bord de la Vesdre. Elle faisait sa journée après avoir trait les deux vaches de la petite ferme familiale. Le bruit dans ces usines ! La cadence pour nouer les fils des bobines presque vides…
Je n’ai pas envie de donner de leçon, ni de recettes pour bien vieillir, mais je retiens juste pour moi, l’exemple de ces deux grandes dames, tournées vers les autres, ouvertes, généreuses d’elles–mêmes, rieuses, pleines d’humour, sages (quand on vieillit, on doit se taire, disait Marie), discrètes, contentes de peu.
Maintenant que j’approche des 80 ans, je voudrais leur ressembler : garder une faculté d’émerveillement devant la nature, de la reconnaissance après une tartine dégustée comme si c’était un dessert de roi, conserver l’envie de découvrir les autres, de tous âges, de toutes conditions, sans préjugé, cultiver le goût du bonheur, même petit, et le sens de l’humour, savoir rire de soi-même, continuer à servir tant que les forces le permettent.
Que Dieu m’accorde de me tenir à ce beau programme et qu’il me le rappelle en temps utile, Lui qui ne manque pas d’humour non plus !
Yvette Vanescotte
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