Il y a d’innombrables sauveurs qui n’ont pas été reconnus Justes, pour diverses raisons[1]. Mais, ce peut être un bon signe. Car on ne donne pas une médaille à ses parents, et les parrains de guerre, qui choyaient souvent les enfants cachés comme leur propre enfant, ont gardé une relation affective forte après la guerre avec leur pupille qui venait les voir régulièrement. Une voisine de M. et Mme Verleyen qui m’ont caché[2] s’est un jour exclamée : «Il vient encore ?» Et mon Nunkel, comme je l’appelais, de répondre en bruxellois : Ja hij is reconnaissant». Mes visites étaient leur diplôme. Et tant qu’ils étaient en vie, je n’ai jamais pensé à les faire nommer officiellement. D’ailleurs, soldat de 1914-1918, il avait un tiroir plein de médailles. Et un après-midi où j’étais allé à leur domicile avec mes enfants, je leur avais dit : « Vous allez voir, il a toutes sortes de décorations. » Je monte à l’étage, j’ouvre le tiroir : il était vide. Et mon sauveur de m’apprendre en riant qu’il les avait jetées à la poubelle. Vu le peu de cas qu’il faisait des honneurs, pouvais-je le forcer à en recevoir ? Je n’ai entamé la procédure qu’à titre posthume pour lui et pour sa femme, une vraie mère… Les sauveurs sont en général restés anonymes tout simplement parce qu’ils aimaient ceux qu’ils ont hébergé. Croyants ou laïques, ils aimaient leur prochain. C’est la sagesse des nations. Et il s’est toujours trouvé des gens qui l’ont pratiquée ; sans eux, l’humanité aurait depuis longtemps disparu.
Si, avec l’Enfant Caché, j’ai organisé l’Année d’hommage aux Justes, c’est pour donner l’occasion de méditer sur l’abnégation de ces personnes, notamment à la synagogue, à l’université, dans les écoles, les maisons communales… Montrer que l’on peut aimer des juifs au risque de sa propre vie est peut-être une bonne manière de combattre cette haine du juif que l’on rencontre dans le nouvel antisémitisme. C’est mettre en valeur la résilience dont nous avons hérité suite à la résistance à l’injustice de ces êtres solidaires et fraternels.
Adolphe Nysenholc
[1] Voir la douzaine de raisons possibles in A. Nysenholc, « Justes et littérature », rubrique Textes inédits, site Fondation Auschwitz, www.auschwitz.be, mars 2022, pp. 6-7.
[2] Je décris le quotidien durant la guerre de ces héros modestes qui n’ont pas hésité de risquer leur vie pour un enfant juif, dans le livre Bubele l’enfant à l’ombre (Espace Nord, « Collection du Patrimoine littéraire belge francophone »). Finaliste du Prix Rossel.
A propos de l’Enfant Caché asbl
L’association l’Enfant Caché a été fondée en 1991, 46 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Elle regroupe les enfants qui ont été cachés pour échapper à la traque des nazis et à la déportation dans les camps de la mort.
Sa mission fut, après un demi-siècle de silence, de faire sortir du secret les anciens enfants cachés. Elle organisa des groupes de paroles pour leur permettre d’exprimer leur souffrance intériorisée.
Elle s’est donné comme but de transmettre la mémoire du génocide, par esprit de prévention. Elle publie un magazine, EC Infos. Elle encourage les membres à témoigner – dans les écoles et les médias – et à faire paraître des récits de vie, voire des livres. Notre ouvrage collectif L’Enfant sauvé est la somme de notre travail.
Après les résistants et les rescapés des camps, l’Enfant caché, ayant acquis un statut et des droits[1], a été reconnu comme nouvelle figure mémorielle.
Une fois sauvés, les enfants survivants ont aussi eu à cœur de rendre hommage à leurs sauveurs, dont 1767 ont été nommés Justes Parmi les Nations par le Yad Vashem à Jérusalem, ce qui est la plus haute distinction donnée par l’Etat d’Israël.
Le patron des enfants cachés est le bébé recueilli par la fille du Pharaon, Moïse.
Adolphe Nysenholc
Président
[1] En 1999, un arrêté royal fixe le statut d’enfant caché et reconnait officiellement leur statut moral de victime de guerre. En 2003, la loi va plus loin en leur reconnaissant le statut plein et entier de victime de guerre leur permettant d’être indemnisés. Enfant caché — Wikipédia (wikipedia.org)
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