L. Flachon : Une réflexion sur l’éthique protestante

Article paru en septembre 2013 republié dans le Mosaïque de décembre 2016

Et si le paradoxe de l’éthique chrétienne se résumait ainsi : « Tout est donné, tout est à faire »1 ? Comment tenir ensemble la priorité de la promesse et du don de Dieu sur les œuvres humaines et l’exigence de la responsabilité morale ? Le protestantisme tend à réfléchir aux enjeux éthiques à partir de la conscience individuelle en insistant sur l’interdépendance entre liberté et justice. D’ailleurs faut-il parler de morale ou d’éthique ? On parle plus volontiers de “théologie morale” du côté catholique et de professeurs “d’éthique” du côté protestant1. En fait, la distinction entre éthique et morale est une distinction construite. La réfl exion du philosophe Paul Ricœur sur ce sujet est éclairante :

Je propose (…) de réserver le terme d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs ».

Les protestants aiment à rappeler l’importance de la diversité : leurs opinions, les positions de leurs Églises en témoignent. Y a-t-il, dès lors, “une” éthique protestante ou “des” éthiques protestantes ? Les opinions sont… partagées ! En matière d’éthique, on peut repérer des différences de sensibilités entre, par exemple, luthéranisme et calvinisme : « Luther et ses disciples insistent sur la foi, d’où découle l’action, alors que Calvin et les siens mettent en avant l’action qui découle de la foi »2 . Chacune de ces attitudes comporte un risque : dans le cas du luthé- ranisme, une indifférence aux engagements éthiques et un repli sur une piété intérieure ; dans le cas du calvinisme, un activisme qui peut tomber dans le moralisme. Lorsque les Églises protestantes prennent position en matière de bioéthique, d’éthique sociale, politique, économique ou écologique, elles ne visent pas à imposer des normes. Elles soulignent qu’elles n’ont pas pour vocation de régenter le monde, de se constituer en parti, de dire au politique ce qu’il doit faire ou aux fi dèles ce qu’ils doivent penser. Les Églises protestantes rappellent plutôt que l’horizon de l’Évangile, c’est le monde et que la liberté donnée par Dieu est aussi une responsabilité envers tout être vivant et envers la création tout entière. Elles encouragent leurs fi dèles à exercer leurs responsabilités sans oublier leurs convictions. Dans la réfl exion protestante, l’éthique n’est pas liée à des contenus qui seraient déterminés une fois pour toutes ; elle vise plutôt à éclairer les enjeux, dire la complexité des débats tout en fournissant des éléments de réfl exion et en appelant chaque fi dèle à une méditation renouvelée des Écritures. La déclaration de mars 2006 de l’EPUB sur le thème de l’euthanasie, par exemple, rappelle à la fois que la vie est grâce et que l’être humain est un être libre et responsable. Elle souligne l’existence de situations-limites et le fait que la souffrance n’a pas de vertu. Dans ses premières lignes, elle met en avant la diversité des opinions en matière d’éthique au sein de l’Église : « les positions protestantes relatives à l’euthanasie sont variées ; elles font appel à la responsabilité personnelle de chacun(e) dans une perspective de culture de débat. À cet égard, il n’existe pas dans l’ÉPUB d’instruction ecclésiale doctrinaire, mais il est nécessaire de susciter la réflexion des fidèles dans le respect des opinions de chacun(e) ». Sur le même sujet, le synode de la nouvelle Église Protestante Unie de France qui s’est tenu en mai 2013 a rappelé, dans son communiqué final, son refus de tout cadre rigide car « c’est le regard que Dieu pose sur chaque vie qui confère à celle-ci sa dignité, sa liberté et sa responsabilité ». La vocation de l’Église s’exerce donc dans l’accompagnement discret et respectueux de chaque situation individuelle.

Pasteure Laurence Flachon

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