Chers Frères et Sœurs,
C’est une grande joie pour moi de pouvoir prendre la parole ici dans ce temple de la rue Lambert-le-Bègue à l’occasion de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Le pasteur Vincent Tonnon m’a dit que c’était sans doute la première fois qu’un évêque prêchait du haut de cette chaire ! Quant à moi, c’est la première fois que je prêche du haut d’une chaire. J’ai un peu le vertige ! Mais je ferai de mon mieux !
Cette année nous célébrons le 5e centenaire de la publication des 95 thèses de Luther sur les indulgences, affichées en 1517 sur la porte de l’église de Wittenberg. C’est le moment qui a été repéré comme point de départ de la Réforme. Certes, la Réforme de l’Église était à l’ordre du jour depuis des siècles ; elle était déjà une revendication de Lambert le Bègue, curé de Saint-Christophe, l’église voisine, à la fin du 12e siècle. Mais avec Luther, la Réforme a pris un tournant décisif, dans le contexte de l’humanisme de la Renaissance, de la diffusion de l’imprimerie, et du retour aux sources de la foi chrétienne, la Bible, couronnée par l’évangile. Pour Luther, la foi chrétienne devait être détachée de sa dépendance du culte des saints et de la vénération des reliques, à laquelle étaient attachées les indulgences. Luther a voulu tout recentrer sur la personne du Christ et son amour gratuit pour nous, c’est pourquoi il a donné une importance capitale à la théologie de la grâce.
C’est cela même que nous avons entendu dans la lecture de l’apôtre Paul, faite il y a un instant, extraite de la 2e lettre aux Corinthiens (2 Co 5, 14-21). L’apôtre insiste sur cet amour gratuit de Jésus, qu’il appelle agapè, c’est-à-dire amour fraternel, affection gratuite. Il écrit : « L’amour (agapè) du Christ nous étreint, à cette pensée qu’un seul est mort pour tous » (2 Co 5,14). Le Christ fait donc un premier pas envers l’humanité, en nous aimant et en donnant sa vie pour nous tous. À initiative du Christ répond une démarche de l’homme : « Christ est mort pour tous afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). De même que le Christ est mort pour nous, ainsi nous sommes invités à vivre pour lui. L’apôtre insiste sur le côté réciproque de notre attitude, sur notre réponse à l’amour du Christ pour nous. Mais on s’attendrait à ce qu’il dise : « que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour les autres, pour les blessés de la vie, pour leur prochain ». Ce serait une manière de pratiquer l’amour du prochain, en réponse à l’amour de Dieu. Or Paul demande plutôt de rendre au Christ cet amour qu’il a pour nous. Ce n’est pas du tout évident. Dans le monde d’aujourd’hui, le Christ paraît loin dans le temps et dans l’espace.
Pourtant « si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature » (2 Co 5,17). Dès lors notre position est nouvelle : « Tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et nous a confié le ministère (diakonia) de la réconciliation » (2 Co 5,18), « mettant en nous la parole de réconciliation » (2 Co 5,19). Donc vivre pour le Christ entraine de vivre au service la réconciliation.
Parmi les retombées concrètes de cette attitude, on compte la démarche de paix qui revient en République de Centre-Afrique, grâce à l’esprit de réconciliation et de miséricorde qui anime les principaux acteurs religieux du pays. Le pays était plongé dans une guerre civile grave, qui mettait aux prises le Nord et le Sud, sous couvert d’un combat entre musulmans et chrétiens. À Bangui, la capitale, c’étaient les chrétiens, majoritaires, qui attaquaient les musulmans minoritaires. Grâce à l’action conjointe des autorités catholiques, musulmanes et protestantes, l’instrumentalisation de la religion par les chefs de guerre a été déjouée. L’archevêque catholique de Bangui, Dieudonné Nzapalainga, le leader évangélique du pays, le pasteur Nicolas Guerékoyame Gbangou, et le leader musulman du pays, l’imam Oumar Kobine Layama, sont les acteurs de cette réconciliation. Ils ont partagé une vraie amitié entre eux et en ont témoigné dans tout le pays.
Suite à cela, le nouveau chef de l’État, le président Faustin Touadéra, a pu prendre la situation en mains et concrétiser la réconciliation. Il a présenté la situation de son pays aux chefs
religieux du monde entier réunis à Assise le 18 septembre 2016.
Il a expliqué le processus de « démystification » de la guerre qu’il a fallu faire pour déboucher sur la paix : « Des forces obscures exploitaient la religion pour faire la guerre », a-t-il dit. La paix est donc vraiment l’aboutissement d’une œuvre de miséricorde que des chrétiens et d’autres croyants, en se réconciliant d’abord entre eux, ont pu mettre en œuvre contre vents et marées.
Une autre expérience de réconciliation entre Églises est celle que je vis au groupe des Dombes. Celui-ci est parti d’une initiative de l’abbé Paul Couturier et du pasteur Richard Baümlin en 1937 ; se réunissant pendant longtemps à l’abbaye des Dombes, il rassemble 20 protestants et 20 catholiques et travaille à résoudre les questions qui nous divisent. J’ai la chance d’en faire partie depuis quelques années et de participer activement aux travaux. Dernièrement le groupe a publié ses réflexions sur la Vierge Marie et sur le Notre Père. Actuellement il est occupé à travailler le sens du mot « catholique », qui est utilisé tant dans l’Église catholique romaine que dans les Églises réformées et les Églises orthodoxes. Luther le voyait comme un équivalent de « christlich » : l’Église est catholique parce qu’elle est centrée sur le Christ. Pour Calvin, « catholique » signifie universel et donc manifeste l’unité de la communauté des chrétiens sur toute la terre. Durant un voyage en Allemagne sur les pas de Luther en août dernier, j’ai eu l’occasion de participer à une prière de midi dans l’église de Notre-Dame de Wittenberg, la ville où vécut Luther. À la fin de la prière, je remercie le président de l’assemblée et je me présente ; je dis : « Je suis l’évêque catholique de Liège ». Et il me répond : « Nous aussi sommes catholiques ! » Comme quoi, les idées font leur chemin partout !
On le voit, la réconciliation avance, parce que l’on se centre de manière nouvelle sur le Christ et l’on vit une nouvelle amitié.
C’est la surabondance de la grâce qui déborde jusqu’à nous (cf. Romains 5,20) !
C’est la surabondance de la joie qui anime notre veillée de prière !
C’est la surabondance de salut qui doit rayonner du témoignage de nos vies !
Amen