Pour une pastorale interculturelle au sein de l’EPUB

Introduction

Suite aux mouvements des populations issues de la migration, l’on assiste de nos jours, à une présence de plus en plus nombreuse dans la société belge et au sein des paroisses de l’Église Protestante Unie de Belgique (EPUB), des personnes issues d’autres cultures et porteuses de sensibilités religieuses et valeurs culturelles différentes de celles de l’Occident. Qu’ils s’agissent des primo arrivants, des afropéens, ou même de la génération 1.5, toutes ces personnes d’origines étrangères se retrouvent quelque fois au sein d’un ou des paroisses pour vivre leur foi.

 

Sur le plan ecclésial, l’EPUB fait face à une demande de plus en plus croissante des pasteurs d’autres origines avec en grand nombre, les Africains pour la partie francophone et les Hollandais pour la partie néerlandophone.

 

Ce phénomène quasi irréversible de recomposition du paysage religieux protestant contribue à renforcer la diversité de l’EPUB  en faisant d’elle, une église multiculturelle et multilingue  exigeant une adaptation, voire, une réadaptation pour permettre l’émergence d’une approche pastorale interculturelle qui tiendrait compte des différentes sensibilités culturelles.

 

Bernard Coyault dans un article de 2017 sur les « mutations culturelles et religieuses du protestantisme historique en région parisienne », constatait que la dynamique multiculturelle s’imposait comme une évolution démographique durable et non réversible. Il affirmait alors que « l’Eglise Protestante Unie de Melun était l’un des lieux de culte protestants franciliens ordinaires, d’implantation ancienne où s’opère depuis une vingtaine d’années une recomposition socio-culturelle de fonds, caractérisée par une pluralisation culturelle, sociale et ecclésiale.»[1]

 

Cette évolution qui plus que jamais interpelle l’EPUB, nécessite une réflexion profonde et une action concrète pour un dynamisme nouveau du protestantisme historique belge.

Notre contribution qui vise à proposer quelques pistes afin de permettre à l’EPUB de mieux prendre en compte cette recomposition, se structure en 3 parties :  (I) Qu’est ce que la pastorale interculturelle ? (II) Quelles sont les initiatives déjà faites dans ce domaine et enfin (III) quelle est l’importance d’une pastorale interculturelle au sein de l’EPUB ? Précisons à ce dernier point qu’il ne s’agit que de quelques pistes non exhaustives.

 

Ce qu’est la pastorale interculturelle

Selon le petit glossaire vie et société, « l’interculturel désigne un contexte social, caractérisé par la diversité des valeurs, des rituels, des conceptions, des façons de voir et de vivre à la fois culturels mais aussi ethniques qui peuvent constituer les principes fondamentaux à tout développement personnel et comportement social. Ce phénomène est essentiellement marqué par l’interaction sociale, l’échange et le respect. »[2] L’approche pastorale interculturelle vise à « favoriser « l’accueil des différentes communautés culturelles, la reconnaissance de leur apport et leur intégration à la vie (…) paroissiale et sociale ».[3] Parler de pastorale interculturelle, revient à prendre conscience qu’il peut y avoir des cadres de pensée de représentation du monde distincts et envisager une approche pastorale fondée sur la prise en compte de ces différents cadres.

 

Quelques initiatives déjà prises

L’une des initiatives menées dans le cadre de la réflexion sur la présence croissante, des populations porteuses d’autres sensibilités dans l’EPUB a été faite par le Conseil synodal de l’EPUB qui en 2020, a mis sur pied, un groupe de réflexion « Eglises ethnique-Epub interculturelle. »

 

Par ailleurs, dans le cadre de la pastorale nationale francophone, l’EPUB a organisé une journée le 27 septembre 2022, au cours de laquelle, les participants, pasteurs des différentes paroisses et districts se sont retrouvés pour échanger sur le thème : « Les défis de l’interculturalité au sein de la paroisse locale : les ‘rendez-vous [manqués ?] du donner et du recevoir’ (Senghor) »  (intervenant B. Coyault).

 

L’initiative la plus notable a été celle de la Faculté de Théologie protestante de Bruxelles, qui a posé les jalons d’une pastorale interculturelle en intégrant dans le curriculum de formation des étudiants en Master le cours intitulé: « Accompagnement pastorale interculturelle », avec un triple objectif : 1- susciter une prise conscience sur les enjeux de l’interculturel dans la vie d’une communauté chrétienne, 2- doter les futur.e.s pasteur.e.s et responsables, d’outils d’analyse pertinents, et 3- identifier une méthodologie permettant la mise en œuvre d’une praxis interculturelle, conjuguant spiritualité, diversité et équité.

 

Dans une articulation à la fois théorique et pratique, qui croise réflexion théologique et apport des sciences sociales, sont abordées plusieurs thématiques et notions, qui participent de la « gestion de l’interculturel », porteur de richesses mais qui génère aussi malentendus, tensions et parfois conflits.

 

Structuré en huit séances de trois heures, ce cours permet d’aborder entre autres thématiques :

  • La recomposition à bas-bruit du protestantisme: des situations contrastées ;
  •  Les concepts  de culture – culture religieuse – multiculturel – interculturel
  • La Bible comme ressource pour penser l’interculturel,
  • Les écueils de l’ethnocentrisme et de l’essentialisme
  • Les dynamiques  multiculturelles et l’invisibilisation des logiques raciales dans l’Eglise locale
  • Les  postures hégémoniques : racialisation, privilège blanc et fragilité blanche, intersectionnalité
  • De l’interculturel asymétrique à une Église réconciliante : La redistribution des honneurs (1 Co. 12)
  • L’appropriation d’un outil des sciences sociales : le modèle de la praxis interculturelle (Sorrells, 2016)
  • Les représentations de l’invisible, causalités du malheur et prégnance du rêve
  • La cohabitation et interactions des régimes du croire
  • Les dynamiques spirituelles individuelles (jeûne, prière, etc.) et collectives (offrande, louange, etc.)
  • Les familles transnationales et la gestion du deuil
  • Les défis intergénérationnel, les conflits familiaux,  les malentendus
  • La transmission au sein de la famille et le couple interculturel
  • Les divers aspects de la pastorale interculturelle dans l’église locale
  • La  condition du pasteur dans une communauté interculturelle

 

L’importance d’une pastorale interculturelle au sein de l’EPUB

L’approche pastorale interculturelle est importante aujourd’hui pour une Eglise plurielle et multiculturelle comme l’EPUB. C’est en cela que les chantiers lancés par la FUTP sont porteurs d’une dynamique nouvelle dans cette mesure où, comme l’affirme Girondin, « l’interculturel constitue un défis pour le monde, mais aussi pour l’Église ; il invite à repenser notre manière de vivre ensemble, d’habiter l’Église et de faire société, au niveau local autant qu’international. »[4]

Ce défis précise Gittins, consiste pour « le croyant à aller volontairement au-delà d’une expérience monoculturelle, biculturelle, transculturelle ou multiculturelle, pour apprendre à vivre l’interculturalité en tant que membre d’une communauté de foi voulue. »[5] C’est en cela que l’approche pastorale interculturelle permet de découvrir et de créer de nouveaux modes de vie apostolique, qui exigent de chaque membre de donner et de recevoir.[6]

Vu sous cet angle, la pastorale interculturelle nécessite que l’on s’intéresse et questionne les personnes parfois « silencées » (silenced) des communautés pour faire émerger d’autres filtres d’interprétations.

La pastorale interculturelle est une porte d’entrée pour une connaissance mutuelle et le vivre ensemble, elle  permet de sortir de nos murs , de nos représentations, pour aller à la rencontre de l’autre, le connaître, lui permettre de nous connaître, pour avancer ensemble. L’approche pastorale interculturelle permet de comprendre les différentes sensibilités culturelles existantes au sein de la paroisse et de faciliter la création des espaces d’expression de ces cultures pour un enrichissement mutuel. La pastorale interculturelle permet de vivre l’unité dans la diversité pour une Église toujours plus inclusive. Elle permet aussi  de construire un vivre ensemble, interculturel ou mieux encore pour utiliser l’expression de Girondin, d’« oser l’Église, toutes cultures ensemble.»[7]

Pour une meilleure prise en compte des dynamiques interculturelles au sein des communautés, il est important de se former à l’approche interculturelle pour acquérir des outils et encadrer le peuple de Dieu.

Terminons avec ce questionnement de Jean Claude Girondin : «  La rencontre de l’autre ne serait- elle pas le lieu où la foi peut rencontrer la vie, où donner et recevoir susciterait une réciprocité féconde ? »[8]

 

Maximin Tapoko

doctorant et chargé de cours

 

Image : pixabay

Notes :

[1] Coyault Bernard, « Mutations culturelles et religieuses du protestantisme historique en région parisienne : le cas de l’Eglise protestante de Melun », in Fer Yannick, Malogne – Fer Gwendoline (dir), Le Protestantisme à Paris. Diversité et recompositions contemporaines, Genève, Labor et Fides, P.59.

[2] « Petit glossaire en mouvement », Vie sociale et Traitements, vol.87, n° 3, 2005, p. 41

[3]              Église Catholique de Québec- Pastoral interculturel,  https://www.ecdq.org/pastorale/solidarite/pastorale-interculturelle/

[4]Girondin J.-C., « Les enjeux théologiques et anthropologiques de l’interculturalité dans l’Eglise » in De Coninck F. & Girondin J.-C. (dir.), L’Église, promesses et passerelles vers l’interculturalité ?, Charols, Excelsis, p.141

[5] Gittins A. « La vie interculturelle, un appel à la conversion », Lumen Vitae, LXX – 2015, p. 431.

[6]              Ibid.434

[7] Girondin J.-C., « Oser l’Église interculturelle» in De Coninck F. & Girondin J.-C. (dir.), L’Église, promesses et passerelles vers l’interculturalité ?, p.14

[8]              Girondin J-C., op.cit. P.169

 

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